Les arbres qui cachent la forêt : surveillance des risques climatiques et difficultés de mise en œuvre de la réglementation

Discours - Washington -

Tolga Yalkin, surintendant auxiliaire du Secteur des mesures de réglementation du BSIF, participe à une table ronde à la 23e conférence internationale sur les défis liés aux politiques du secteur financier (Annual International Conference on Policy Challenges for the Financial Sector)

Pertinence des risques climatiques et environnementaux

Modérateur :

En 2023, le BSIF a publié sa ligne directrice sur la gestion des risques climatiques et, il y a à peine deux mois, il a publié la deuxième consultation sur l’Exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques.

Tolga, pouvez-vous nous expliquer l’incidence du risque physique et du risque de transition sur le système financier du Canada et la façon dont vous prévoyez utiliser l’exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques?

Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :

  • Incidence du risque physique et du risque de transition sur le système financier
    • À titre d’organisme de surveillance, le BSIF a pour mandat de contribuer à la confiance du public dans le système financier. Pour exécuter ce mandat, nous devons notamment veiller à ce que les institutions financières canadiennes que nous réglementons gèrent adéquatement les risques susceptibles de toucher leur sûreté et leur solidité. Ces risques comprennent les risques physiques et les risques de transition associés aux changements climatiques.
    • Nous observons maintenant l’incidence des risques physiques liés aux changements climatiques sur les institutions financières au Canada. Par exemple, la fréquence des événements d’une grande gravité ne cesse d’augmenter, et ils ont une incidence sur la couverture de réassurance et les rétentions nettes des sociétés d’assurance multirisque, ce qui pourrait entraîner des bénéfices potentiels ou même une volatilité du capital.
    • Les risques de transition ont également augmenté ces dernières années en raison de la divergence que nous observons à l’échelle internationale en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de la détermination de différents pouvoirs publics à aller de l’avant avec la transition. Cet écart augmente le risque d’une transition plus désordonnée.
  • Exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques
    • Les institutions financières et les organismes de réglementation qui les surveillent ont besoin de renseignements fondés sur les données pour améliorer leur gestion des risques climatiques. Notre exercice normalisé d’analyse des scénarios climatiques, ou ENASC comme nous l’appelons, fera la lumière sur la nature des risques auxquels les institutions financières doivent faire face dans leurs bilans et au-delà en ce qui concerne les risques climatiques.
    • L’ENASC est un outil utilisé pour évaluer les risques liés aux changements climatiques qui aide à cerner les vulnérabilités et à se préparer aux défis futurs. L’exercice consiste à mener une analyse de divers scénarios hypothétiques afin de comprendre l’incidence éventuelle des risques climatiques sur les institutions financières elles-mêmes, leurs contreparties, et le secteur en général.
    • Dans le cadre du modèle de consultation publique en deux phases, nous avons tenu deux séances d’information et nous organiserons une série de séances d’information techniques qui aborderont des sujets particuliers, comme le risque physique (inondations et feux de forêt), le risque de crédit et le risque de marché.
    • Les institutions ont jusqu’à demain, soit le 7 juin, pour envoyer leurs commentaires sur la deuxième phase de la consultation. Nous publierons le dernier exercice cet automne, nous demanderons aux établissements de le réaliser, puis nous soumettrons les résultats avant la fin de l’année pour enfin publier un rapport final en 2025.
    • Nous sommes heureux de travailler avec l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui mènera cet exercice en parallèle avec certaines de ses institutions financières réglementées au Québec.

Réglementation et surveillance en matière de risques climatiques

Modérateur :

Tolga, pouvez-vous nous parler de la prise en compte des risques climatiques dans le Cadre de surveillance du BSIF et de son application dans le contexte de la surveillance continue?

Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :

  • En avril dernier, nous avons dévoilé un nouveau cadre de surveillance. Il s’agit du changement le plus important apporté à notre approche de surveillance depuis 25 ans. Le cadre définit les principales catégories de risque sur lesquelles nous nous concentrons, soit le risque d’exploitation, la résilience financière, la résilience opérationnelle et la gouvernance du risque.
  • Les risques climatiques sont pris en compte dans les quatre catégories de risque parce que nous les considérons comme un « risque transversal » présent dans l’ensemble de notre évaluation. La ligne directrice B-15 énonce nos attentes en matière de gestion des risques climatiques.
  • Notre approche de cotation s’attache à recenser les risques les plus graves auxquels une institution est confrontée. Le Cadre ne prévoit aucun coefficient de pondération. Toute catégorie de risque a le potentiel de faire augmenter la cote de risque global (CRG), qui est un amalgame des principaux risques mentionnés ci-dessus.
  • Nous évaluons chaque catégorie en fonction du niveau de risque qu’elle pose pour la viabilité de l’institution. Autrement dit, si les risques climatiques posent un risque pour la viabilité de l’institution dans l’une des quatre catégories, ils peuvent finir par faire augmenter la CRG.
  • Par exemple, si une institution a élargi son portefeuille de prêts de manière agressive dans un secteur fortement exposé au risque de transition ou a une forte concentration d’actifs dans un domaine exposé à une fréquence et à une gravité croissantes d’événements présentant un risque physique, cela peut avoir une incidence sur notre évaluation du risque d’exploitation, de la résilience financière et de la gouvernance du risque. Selon le niveau de risque qui pèse sur la viabilité, cela pourrait avoir une incidence sur la cote.
  • Nos cotes sont associées à des aspects où nous voulons voir des changements dans les institutions financières. Lorsque nous donnons à une institution une cote qui indique des possibilités d’amélioration, nous indiquons les résultats auxquels nous nous attendons pour une amélioration de la cote. Nous croyons que cette approche simple et transparente aide à réaliser les objectifs de surveillance qui tiennent compte des risques prudentiels.

Planification de la transition, communication et risques liés à la nature

Modérateur :

Le Réseau pour le verdissement du système financier (NGFS) a publié cette année son enquête sur les plans de transition dans les économies de marché émergentes et en développement. Les conclusions indiquent que les institutions financières dans les économies de marché émergentes et en développement en sont aux premières étapes de la planification de la transition, qu’il leur manque certaines capacités par rapport à leurs homologues dans les économies avancées, et qu’elles connaissent des complexités, à savoir des objectifs variés, un manque d’environnement favorable et des conséquences imprévues potentielles.

Tolga, pouvez-vous nous faire part de vos points de vue sur les plans de transition? Comment les rendre plus crédibles et comment les utiliser au mieux dans le cadre de surveillance?

Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :

  • Les institutions financières doivent gérer les risques que les changements climatiques posent pour leur sécurité et leur solidité. Une étape cruciale consiste à créer des plans de transition décrivant la façon dont elles géreront la transition vers une économie à faibles émissions de même que les risques physiques croissants.
  • J’ai présidé pendant deux ans le volet de travail sur la supervision du Réseau pour le verdissement du système financier. Mon équipe a codirigé l’élaboration des travaux sur les plans de transition.
  • En avril dernier, le NGFS a publié trois rapports, dont l’un examine la crédibilité des plans et des processus de transition des institutions financières. Je crois que la crédibilité est au cœur de notre approche d’évaluation des plans de transition.
  • De façon générale, pour évaluer la crédibilité du plan, il faut examiner cinq éléments :
    • Gouvernance (la surveillance et la gouvernance du conseil d’administration et de la haute direction quant au plan de transition)
    • Interaction (si l’interaction de l’institution avec ses clients et ses entités émettrices est proportionnelle aux risques auxquels ils pourraient être exposés)
    • Analyse du risque (la solidité des analyses du risque réalisées par l’institution, compte tenu de sa propension à prendre des risques pour des clients et des entités émettrices en particulier en fonction de leur exposition aux risques climatiques)
    • Mesures viables (si l’institution a défini des mesures qui s’harmonisent avec sa stratégie globale et si les mesures sont conformes à ses objectifs climatiques)
    • Surveillance et examen (si l’institution a établi des contrôles et des paramètres internes adéquats ou encore des indicateurs de rendement clés pour surveiller, examiner et mettre à jour le plan à mesure de son exécution)

Modérateur :

Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a récemment terminé une consultation sur la communication des risques financiers en lien avec les changements climatiques. Le document est interopérable avec les recommandations du document IFRS S2 et du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques, même si certaines exigences en matière de communication quantitative tiennent compte des spécificités du modèle de gestion des banques (« émissions financées », « émissions facilitées »).

Tolga, comme le BSIF a récemment publié des consignes sur la gestion des risques climatiques, qui comprennent un chapitre sur la communication, je me demande si vous pourriez nous faire part de votre point de vue sur ce sujet. Comment les institutions financières peuvent-elles améliorer la transparence dans la communication d’information financière en lien avec les changements climatiques? Quels sont les principaux obstacles auxquels sont confrontées les banques en ce qui a trait à la communication adéquate?

Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :

  • Comment les institutions financières peuvent-elles améliorer la transparence dans la communication d’informations financières en lien avec les changements climatiques?
    • Lorsqu’il est question de contrôle bancaire, la communication est essentielle. Cette approche se reflète dans les travaux internationaux sur le troisième pilier de Bâle III. Toute information communiquée est gérée et examinée. En veillant à ce que diverses parties prenantes aient accès à l’information, on encourage une discipline supplémentaire en ce qui a trait à la gestion des risques qui préoccupent les superviseurs prudentiels.
    • La ligne directrice B-15 établit les attentes en matière de communication obligatoire pour toutes les institutions financières fédérales, ce qui les aidera à se préparer aux risques liés au climat et à renforcer leur résilience à cet égard. Nous sommes d’avis que notre approche établit un équilibre pragmatique visant à assurer une gestion prudente des risques climatiques.
    • Notre bureau a également publié de nouveaux relevés réglementaires sur le risque climatique afin de recueillir des données normalisées sur les émissions et l’exposition des institutions financières. Les données que nous recueillerons nous permettront d’améliorer la conception, la réglementation et la supervision des institutions financières.
  • Principaux obstacles auxquels sont confrontées les banques en ce qui a trait à la communication adéquate
    • L’an dernier, nous avons envoyé un questionnaire aux institutions financières leur demandant d’autoévaluer leur capacité à répondre aux attentes énoncées dans notre ligne directrice B-15.
    • Ce que nous avons entendu, c’est que les institutions financières se préparent à communiquer les informations financières en lien avec les changements climatiques pour la plupart des catégories, mais qu’elles sont moins prêtes à communiquer les données sur les émissions de GES du champ d’application 3. Cette observation correspond aux défis signalés par les institutions concernant leur capacité à recueillir, à mesurer et à déclarer correctement cette information.
    • Nous avons mis en œuvre progressivement et de façon proportionnelle les exigences en matière de communication énoncée dans la ligne directrice B-15 en fonction de la taille et de la complexité des institutions que nous réglementons. Ainsi, l’obligation de communication pour les grandes institutions financières plus complexes commencera en 2025, puis elle sera imposée progressivement en fonction du type de communication.
    • Nous continuerons de surveiller les progrès d’autres organismes de réglementation, comme les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), et d’autres organismes de normalisation, comme le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID), alors qu’ils établissent la version finale de leurs attentes en matière de communication des émissions de GES du champ d’application 3.