Le surintendant et l’actuaire en chef discutent de l’écosystème des régimes de retraite
Discours -
Rôles du BSIF et du BAC dans l’écosystème des régimes de retraite privés
Le texte prononcé fait foi.
Modérateur :
Le Bureau du surintendant des institutions financières réglemente les banques et les autres institutions de dépôt, les sociétés d’assurance ainsi que les régimes de retraite fédéraux. À votre avis, quelles sont les similitudes et les différences entre la réglementation des régimes de retraite et les autres piliers? Comment votre parcours professionnel vous a-t-il préparé à travailler dans le domaine des régimes de retraite?
Surintendant Peter Routledge :
Le BSIF est responsable de la réglementation et de la surveillance des régimes de retraite privés. Il s’assure que ces régimes respectent les exigences minimales de capitalisation, ainsi que les exigences législatives et les attentes en matière de surveillance.
Contrairement aux banques ou aux sociétés d’assurance, les régimes de retraite privés ne sont pas des entités autonomes. Cette différence fondamentale oriente notre approche réglementaire. Nous ciblons la viabilité à long terme et la sécurité des prestations plutôt que les activités quotidiennes.
Dans le cas des institutions financières, notre mandat est de protéger les droits et les intérêts des déposants, des titulaires de police et des créanciers tout en permettant aux institutions de se livrer à une concurrence efficace et de prendre des risques raisonnables. Dans le cas des régimes de retraite, notre mandat est beaucoup plus ciblé. Il est axé sur la protection des intérêts des participants au régime et des bénéficiaires.
J’ai occupé divers rôles de direction dans le secteur financier qui m’ont préparé à intervenir dans le domaine des régimes de retraite. Par exemple, j’ai dirigé une équipe de recherche sur les actions, les titres à revenu fixe et les produits dérivés, ce qui m’a permis de découvrir le monde des régimes de retraite et des placements. Aussi, mon expérience à l’étranger m’a aidé à développer les compétences nécessaires pour ce rôle qui exige de coordonner des groupes aux objectifs et attentes variés, y compris des homologues internationaux.
Modérateur :
Votre site Web indique que le Bureau de l’actuaire en chef, ou BAC, est le centre d’actuariat indépendant, impartial et digne de confiance du gouvernement du Canada. Pouvez-vous donner plus de détails sur le rôle d’actuaire en chef et le mandat du BAC? Quel rôle joue le BAC dans la réglementation des régimes de retraite privés?
Actuaire en chef Assia Billig
Moi aussi, mon parcours professionnel m’a préparée au rôle que j’occupe actuellement, soit celui d’actuaire en chef. Auparavant, j’ai été experte-conseil en régimes de retraite privés, et j’ai participé à la production de rapports actuariels législatifs pour des programmes nationaux importants au Bureau de l’actuaire en chef. J’ai aussi occupé des postes de direction dans des associations actuarielles internationales. Grâce à cette diversité professionnelle, j’ai une bonne vue d’ensemble des régimes de retraite, allant des détails actuariels aux répercussions réglementaires.
Le Bureau de l’actuaire en chef fournit des services indépendants d’évaluation et de consultation actuarielles au gouvernement fédéral, y compris la production de rapports actuariels sur le Régime de pensions du Canada, le programme de la Sécurité de la vieillesse, le Programme canadien de prêts aux étudiants, le régime d’assurance-emploi ainsi que les régimes de retraite et d’avantages sociaux du secteur public fédéral, dont les prestations versées aux vétérans. Nos travaux ont pour but d’assurer la viabilité financière des régimes et programmes visés par notre mandat. La plupart de ces rapports sont exigés par la loi et déposés au Parlement par le ministre responsable.
Les mesures prises pour assurer mon indépendance sont les suivantes :
- D’abord, même si je relève du surintendant, j’assume l’entière responsabilité du contenu des rapports produits par le Bureau de l’actuaire en chef et des opinions actuarielles qui y sont formulées. J’assume aussi l’entière responsabilité pour les conseils actuariels fournis aux ministères fédéraux, ainsi qu’aux gouvernements provinciaux et territoriaux, qui sont les coadministrateurs du Régime de pensions du Canada.
- Ensuite, je dispose d’une plus grande indépendance et d’une plus grande objectivité comme le BAC évolue hors des ministères auxquels il fournit des services. Enfin, le BAC emploie des actuaires, qui sont tenus de respecter les normes de pratique et les règles de déontologie de leur profession.
Depuis l’adoption l’an dernier du projet de loi C-228, le BAC assume la surveillance actuarielle des régimes de retraite privés. Je peux donc exercer mon nouveau rôle consultatif auprès du surintendant lors de la préparation de son rapport annuel au Parlement. Ce rapport traite de l’application de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension et de la mesure dans laquelle les régimes de retraite respectent les normes de capitalisation minimales.
Gestion du risque et surveillance
Modérateur :
Le contexte actuel dans lequel évoluent les régimes de retraite est passablement plus complexe et plus risqué (pensons à l’absence de couverture) que par le passé. Pouvez-vous décrire certains de ces risques et parler de leurs répercussions possibles sur les régimes de retraite privés?
Surintendant Peter Routledge :
Les régimes de retraite individuels ne présentent pas le même risque systémique que les grandes banques ou les sociétés d’assurance. Mais, collectivement, leurs activités de placement peuvent avoir des répercussions sur le système financier.
Par exemple, les risques pesant sur les régimes de retraite concernent surtout la viabilité à long terme, car les régimes possèdent beaucoup d’actifs placés à long terme. Il faut donc nous projeter plus loin dans l’avenir lorsque nous surveillons l’environnement de risque des régimes de retraite. Les risques géopolitiques, sociaux et environnementaux, ainsi que ceux liés à la gouvernance et au climat, sont plus importants dans une perspective de long terme.
Les stratégies de placement et les outils d’administration des régimes de retraite sont de plus en plus complexes. Par exemple, il est possible d’utiliser l’intelligence artificielle pour administrer les régimes ou gérer les actifs. De plus, le cyberrisque augmente. Donc, globalement, les régimes de retraite privés sont exposés à un risque accru. Je laisse à Assia le soin de vous parler des risques à long terme.
Actuaire en chef Assia Billig
Je souhaite revenir sur le point souligné par le surintendant quant à la vision à long terme par rapport aux risques pour les régimes de retraite.
Le Régime de pensions du Canada, ou RPC, est un excellent exemple pour en parler. Notre évaluation s’appuie sur des prévisions à très long terme, soit 75 ans. Donc, lorsque nous établissons des hypothèses pour les évaluations actuarielles du RPC et que nous soulignons l’incertitude des résultats, nous nous concentrons sur les risques à long terme comme les risques démographiques (fertilité, immigration et mortalité), les risques liés au marché du travail (répercussions de l’intelligence artificielle et du changement climatique) et les risques d’investissement. Nous examinons les risques à la fois du point de vue des passifs et des placements.
Bien entendu, certains risques propres au RPC ne s’appliquent pas aux régimes de retraite privés. Cependant, certains recoupements méritent d’être soulignés. Par exemple, la mortalité joue un rôle dans les deux cas, et même si elle ne diminue plus aussi rapidement, elle n’en demeure pas moins un risque qui doit être surveillé. L’inflation est un autre risque que les deux réalités ont en commun. Et bien entendu, dans les deux cas, il faut regarder de près les taux de rendement prévus à long terme. En plus de la volatilité fondamentale des marchés financiers, le RPC et les régimes de retraite privés pourraient subir les contrecoups des risques climatiques physiques et de transition. Il est très difficile de quantifier ce risque en raison de l’incertitude sans précédent associée à la transition climatique.
Modérateur :
C’est un fait que les régimes de retraite sont différents des autres piliers. Comment le Bureau du surintendant des institutions financières s’assure-t-il alors d’avoir à sa disposition des personnes ayant les connaissances et les compétences nécessaires à la réglementation de tels régimes?
Surintendant Peter Routledge :
Dans les 10 dernières années, le BSIF a renforcé sa capacité à évoluer dans un environnement très complexe et dynamique.
Cet exercice a apporté son lot de défis, car il fallait se doter d’une structure organisationnelle permettant de réduire le travail en vase clos et de conserver notre savoir-faire technique. Nous voulions aussi garder notre effectif hautement qualifié malgré la concurrence du secteur privé.
Notre stratégie en ressources humaines nous a aidés à cerner certaines de ces difficultés et à y répondre. Nous évaluons maintenant les résultats des mesures prises pour nous assurer de continuer à faire progresser et à fidéliser les bonnes personnes ayant les compétences voulues pour répondre à nos besoins organisationnels.
Notre équipe de spécialistes en régimes de retraite est remarquable et couvre plusieurs aspects, y compris la surveillance, la réglementation, les approbations, l’actuariat, le risque d’investissement et bien plus. À long terme, la nouvelle structure devrait favoriser la collaboration à l’interne et développer l’expertise spécialisée requise.
Actuaire en chef Assia Billig
Tout comme le surintendant, je compte sur un effectif hautement qualifié pour mener à bien notre mandat et fournir de façon indépendante des services d’évaluation et des conseils actuariels au gouvernement fédéral.
Notre effectif est composé d’actuaires professionnels qui, pour la plupart, ont obtenu le titre de Fellow ou d’associé de l’Institut canadien des actuaires ou de la Society of Actuaries ou sont en voie d’obtenir ces titres. Puisque nos travaux portent sur les programmes de sécurité sociale, nos actuaires possèdent des compétences uniques qui sont difficiles à développer au Canada et à l’étranger.
Pour demeurer concurrentiels, nous devons déployer des efforts considérables pour développer les connaissances et les compétences spécialisées de nos actuaires.
Notre Programme de perfectionnement des actuaires permet de former du personnel hautement qualifié grâce à des affectations professionnelles stimulantes, à un encadrement en cours d’emploi et à une combinaison de formation structurée et non structurée. Les actuaires peuvent améliorer leurs connaissances, habiletés et compétences et ainsi gravir les échelons.
Les groupes d’experts techniques à l’interne permettent aussi aux employés du BAC d’améliorer, de conserver et de mettre en commun leurs connaissances et leurs compétences. Nous comptons de tels groupes qui se penchent sur le changement climatique, la mortalité et l’analytique prédictive, par exemple.
Modérateur :
Le Régime de pensions du Canada joue un rôle déterminant dans le système canadien de retraite. Comment le Régime de pensions du Canada et les régimes de retraite du secteur public sont-ils financés (par exemple, la Loi sur la pension de la fonction publique)? Quelles sont les différences et les similitudes par rapport au financement des régimes de retraite privés?
Actuaire en chef Assia Billig
Pour expliquer le financement du Régime de pensions du Canada, nous devons remonter dans le temps. Lorsqu’il a été établi en 1966, le RPC de base était financé « par répartition » et comportait une très petite réserve. Selon ce mode de financement, les prestations sont financées par les cotisations de la même année, soit à mesure qu’elles sont versées. Dans les années 1990, il est devenu évident que ce mode de financement n’était plus viable en raison de l’évolution du contexte économique et démographique. En 1997, le RPC a subi une refonte profonde, et on a instauré la capitalisation partielle. L’élément le plus important de cette réforme est cependant la création de l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada, dont le mandat est d’investir l’excédent des cotisations sur le marché des capitaux.
En 2019, le Régime a été modifié, et on a ajouté une deuxième composante, le RPC supplémentaire. Le RPC supplémentaire est entièrement financé, c’est-à-dire que les cotisations et les revenus de placement prévus sont suffisants pour couvrir les dépenses estimées en tenant compte des participants actuels et futurs.
Aujourd’hui, le Régime de base et le Régime supplémentaire sont financés par les cotisations des employeurs et des salariés et par les revenus de placement. Tous les trois ans, le Bureau de l’actuaire en chef revoit les taux de cotisation minimaux nécessaires à la viabilité du RPC. Si ces taux de cotisation minimaux sont inférieurs aux taux prévus par la loi, la viabilité est jugée assurée.
C’est la méthode utilisée pour établir ces taux minimaux qui explique la différence entre le financement du RPC et celui des régimes de retraite privés à prestations déterminées traditionnels. Dans le premier cas, on tient compte des cotisations et des prestations des participants actuels et futurs. Dans le second, on établit en général le coût en prenant en compte les prestations accumulées des cotisants actuels et des bénéficiaires.
Le Régime de base, celui mis en place avant 2019, dépend beaucoup des cotisations comme source de revenus. Par exemple, aujourd’hui, les cotisations représentent 70 % du total des revenus du Régime, alors que les revenus de placement représentent 30 %. Selon la maturité des régimes, ce rapport est en général l’inverse pour les régimes de retraite privés traditionnels.
Les principaux régimes de retraite du secteur public fédéral, comme celui de la fonction publique, des Forces armées canadiennes et de la GRC, sont financés de façon similaire aux régimes de retraite privés. La principale différence est que les régimes de retraite fédéraux ne sont pas soumis aux exigences de solvabilité.
Modérateur :
Certains risques, comme l’investissement guidé par le passif et l’effet de levier, semblent causer de la volatilité lorsque seul l’actif est pris en compte. Par contre, si on considère l’actif et le passif, ils semblent avoir un effet d’atténuation. De quelle façon la surveillance du BSIF reflète-t-elle cette réalité?
Surintendant Peter Routledge :
Nous savons qu’il est important de regarder les deux côtés de l’équation pour la surveillance des régimes de retraite. Selon nous, les politiques et procédures relatives à l’utilisation de l’effet de levier doivent tenir compte des stratégies de placement générales et spécifiques, des interactions actif/passif et des objectifs de financement.
Tous les trimestres, nous faisons un suivi du ratio de solvabilité estimatif des régimes pour détecter les problèmes de solvabilité pouvant nuire au versement des prestations promises aux participants et aux bénéficiaires. Les résultats permettent également de dégager des tendances plus générales. Nous suivons l’évolution de l’actif et du passif.
Nous mettons l’accent sur la solvabilité plutôt que sur l’actif seulement. C’est un point important de notre nouveau Cadre de surveillance. Il permet d’évaluer notamment la solidité de la situation de solvabilité du régime ainsi que la pertinence des placements et de la composition de l’actif au vu de son passif.
Modérateur :
Quelle incidence les récentes lignes directrices sur la gestion des risques et le régime de capitalisation de l’Association canadienne des organismes de contrôle des régimes de retraite auront-elles sur les initiatives en cours du BSIF? Quelles sont les attentes du BSIF par rapport aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance et à l’analyse de scénarios de changement climatique?
Surintendant Peter Routledge :
En tant que membre de l’ACOR, nous sommes d’avis que ces lignes directrices offrent de bons conseils sur les pratiques exemplaires. Les administrateurs de régimes devraient les appliquer, et nous les encourageons à le faire.
En septembre, peu après la parution de la Ligne directrice sur la gestion des risques de l’ACOR, nous avons publié une lettre confirmant notre volonté que les administrateurs de régimes appliquent cette ligne directrice.
Comme nous l’avons indiqué au secteur des régimes de retraite, il n’est pas nécessaire pour les administrateurs de régimes de suivre notre ligne directrice B-15 sur la gestion des risques climatiques à l’intention des institutions financières ni de réaliser l’exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques. Ils doivent plutôt suivre la Ligne directrice sur la gestion des risques de l’ACOR.
Comme l’indique la Ligne directrice sur la gestion des risques de l’ACOR, en fonction des circonstances du régime, l’analyse de scénarios de changement climatique peut être utile pour les administrateurs de régimes (ou les gestionnaires de fonds) qui veulent évaluer les vulnérabilités de la caisse de retraite. Cette analyse peut aussi être intéressante pour une stratégie de placement qui comporte divers scénarios de risques prospectifs plausibles pour différentes périodes.
L’analyse de scénarios de changement climatique peut aussi servir à prendre en compte et évaluer les effets possibles du changement sur les éléments de passif du régime.