Le surintendant Peter Routledge participe à la conférence des chefs de direction de banques canadiennes de RBC
Discours - Virtuelle -
Animateur :
Les prêts hypothécaires au Canada – Nous nous préparions à un choc des paiements, mais il semble que jusqu’à présent, tout va bien et que les taux hypothécaires baissent de sorte que nous éviterons probablement le scénario de la pire éventualité. Pouvez-vous nous dire comment le BSIF perçoit les risques actuellement et, à plus long terme, quelle sera l’évolution de la réglementation des prêts hypothécaires?
Surintendant – Peter Routledge :
- Les incidents de paiement sont moins nombreux que prévu. Malgré la hausse des taux d’intérêt et un marché de l’habitation incertain, 99,8 % des Canadiens remboursent leurs prêts hypothécaires.
- 2025 et 2026 seront des années difficiles. En septembre 2024, 65 % ou 3,8 millions de prêts hypothécaires devaient être renouvelés avant la fin de 2026. Environ 62 % (ou 2,4 millions) d’entre eux n’ont pas encore vu leurs versements augmenter. Nous surveillons la situation des emprunteurs qui ont des prêts hypothécaires à taux variable et à versements fixes, car ils pourraient faire face à une forte augmentation des versements au moment du renouvellement.
- Le taux admissible minimal (TAM), connu sous le nom de « simulation de crise », n’a pas empêché l’augmentation, en 2020-2021, de la part des prêts hypothécaires dont le ratio prêt-revenu (RPR) est élevé au moment du montage, c’est-à-dire des prêts qui affichent un RPR supérieur à 450 %. Ce constat nous a amenés à regarder comment d’autres organismes de réglementation s’y prenaient pour contenir cette augmentation. Un outil s’est avéré prometteur : un test associé au RPR sous la forme d’une limite, applicable aux nouveaux montages de prêts hypothécaires résidentiels.
- Cette limite restreint globalement le volume de prêts hypothécaires résidentiels dont le ratio prêt-revenu est élevé. Ainsi, les banques doivent respecter chaque trimestre une limite de souscription pour ce type de prêts (par exemple 15 % ou 25 % du nombre total de prêts hypothécaires souscrits). Pendant la pandémie de COVID-19, la Banque d’Angleterre avait établi à la fois une simulation de crise des taux d’intérêt hypothécaires et une limite associée au RPR. Toutefois, son Comité de politique financière (CPF) a constaté que la limite associée au RPR était plus efficace que la simulation de crise pour contenir l’augmentation d’emprunteurs fortement endettés. En fait, cette limite jouait tellement bien ce rôle que le CPF a annoncé, en 2023, qu’il allait abandonner la simulation de crise.
- En plus de se démarquer nettement à titre d’outil prudentiel, l’avantage de la limite associée au RPR est qu’elle est calculée au niveau du portefeuille de prêts hypothécaires résidentiels des prêteurs, là où la simulation de crise des taux d’intérêt hypothécaires s’applique à tous les emprunteurs canadiens, au moment du montage du prêt. Or, le parlement n’a jamais eu l’intention de confier au BSIF le pouvoir de réglementer les emprunteurs. Autrement, il aurait légiféré en ce sens.
- Depuis peu, nous n’exigeons plus des institutions qu’elles appliquent le TAM prescrit aux transferts directs de prêts hypothécaires non assurés entre institutions financières fédérales au moment de leur renouvellement. Nous nous attendons à des répercussions prudentielles minimes, car nous avons déjà commencé à appliquer la limite associée au RPR et les volumes de transferts au moment du renouvellement ont toujours été très faibles.
Animateur :
Dans quelles conditions la réserve pour stabilité intérieure serait-elle réduite? Que se passe-t-il si les pertes continuent d’augmenter lentement? Et si les vulnérabilités se dissipaient tout simplement, la réserve pour stabilité intérieure pourrait-elle être ramenée à zéro?
Surintendant – Peter Routledge :
- Lorsque nous établissons le taux de la réserve pour stabilité intérieure, ou RSI, nous examinons tout d’abord les vulnérabilités systémiques (dette des ménages, dette des sociétés, etc.) qui pourraient compromettre les fonds propres si elles devaient se cristalliser en un « court laps de temps ». Nous calculons la RSI dans la perspective qu’elle puisse permettre aux institutions d’assumer les coûts qui pourraient en découler. Il s’agit d’une marge de sécurité (ou d’un coussin) constituée pour éponger les pertes inattendues lors d’un événement extrême.
- Nous pourrions abaisser le taux de la RSI si nous estimons que les vulnérabilités ont suffisamment diminué. Par exemple, dans un « scénario idéal de désendettement », où le revenu croît plus rapidement que la dette sur une période prolongée, les vulnérabilités s’estomperaient et nous réduirions le taux de la RSI d’autant, toutes choses étant par ailleurs égales.
- Parmi les facteurs importants influant sur la décision de réduire le taux de la RSI, citons la gravité de l’incidence qu’un événement générateur de risque aurait sur les banques, la vitesse à laquelle les risques à l’échelle du système pourraient se matérialiser ou se dissiper ainsi que la durée potentielle de ces risques ou des tendances favorables.
- Dans certains cas, nous pourrions intervenir rapidement et diminuer le taux de la réserve pour stabilité intérieure à la suite d’un événement soudain et grave, comme la pandémie. Dans d’autres cas, nous pouvons juger que les vulnérabilités se sont suffisamment dissipées, ce qui réduit la nécessité de la réserve.
- L’ampleur de la diminution serait fonction de la probabilité estimée et de la gravité des pertes que les banques pourraient subir si elles devaient réduire leur activité de prêt.
- Pour obtenir des précisions sur le cadre conceptuel de la RSI, consultez notre site Web.
Animateur :
Bâle III semble susciter beaucoup d’« hésitation » un peu partout. On entend dire qu’en Europe, l’examen fondamental du portefeuille de négociation rencontre une forte résistance et ne sera probablement pas adopté. Aux États-Unis, selon l’opinion générale, une grande partie du dispositif de Bâle III risque de ne pas être mis en œuvre. Au Canada, on a décidé de retarder d’un an l’instauration du plancher de fonds propres. Mais maintenant, plusieurs voix nous appellent à revoir notre situation à la lumière de la conjoncture internationale et peut-être à assouplir nos règles pour que les banques canadiennes demeurent concurrentielles à l’échelle mondiale. Qu’en pensez-vous?
Surintendant – Peter Routledge :
- La mise en œuvre par le BSIF des réformes de Bâle III de 2017, y compris celles relatives au plancher de fonds propres, témoigne de notre conviction que ces réformes jettent des bases solides et prudentes pour le système bancaire canadien.
- Comme notre cadre réglementaire repose sur des principes, nous avons pu aller de l’avant plus rapidement que nos homologues qui suivent plutôt une approche fondée sur des règles.
- Ainsi, nous avons presque terminé de mener à bien notre engagement envers cette mise en œuvre, tandis que certains de nos homologues signataires des réformes de Bâle III de 2017 ont encore du chemin à faire.
- Lors d’une réunion en novembre 2024, les membres du Comité de Bâle ont réaffirmé à l’unanimité qu’ils s’attendaient à ce que tous les aspects du cadre de Bâle III soient mis en œuvre intégralement, uniformément et le plus tôt possible. Les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des pays du G20 ont récemment réitéré cet engagement.
- Comme vous l’avez soulevé, des incertitudes demeurent quant au calendrier définitif, et aux éléments, de mise en œuvre des réformes de Bâle III de nos homologues signataires. Pour cette raison, nous retardons d’un an l’augmentation prévue du plancher de fonds propres pour prendre le temps d’examiner le calendrier de mise en œuvre des réformes de Bâle III des autres pays.
- Comme nous l’avons mentionné en 2024, malgré l’engagement manifeste du BSIF en faveur des réformes de Bâle III de 2017, nous ne pouvons pas retarder davantage la mise en œuvre car nous avons convenu de ce calendrier avec un petit nombre d’autres signataires.
- Nous continuerons de suivre les progrès accomplis par d’autres pays relativement à la mise en œuvre des réformes de Bâle III de 2017, en veillant avant tout à assurer l’équilibre concurrentiel au sein du système bancaire et la solidité du régime de fonds propres du Canada. En outre, nous poursuivons notre dialogue tant avec les institutions autorisées à utiliser un modèle interne qu’avec celles utilisant l’approche standard afin de garantir que le régime canadien de fonds propres bancaires favorise les intérêts des Canadiens et des Canadiennes.
Animateur :
La lutte contre le blanchiment d’argent est un sujet important. Nous aimerions entendre vos réflexions à ce sujet. Pensez-vous que les règles et les règlements en matière de recyclage des produits de la criminalité vont changer? Le BSIF a-t-il un rôle plus important à jouer à cet égard?
Surintendant – Peter Routledge :
- La lutte contre le blanchiment d’argent, ou LBA, est un sujet très important et qui prend de l’ampleur, car les manquements ou égarements sur ce plan nuisent à l’intégrité et à la sécurité mêmes du système financier comme on l’a bien vu en 2024. Ces manquements peuvent indiquer non seulement que l’intégrité et la sécurité laissent à désirer dans les institutions financières, mais ils peuvent également susciter des préoccupations quant à l’efficacité de la gouvernance d’entreprise, de la gestion de la conformité à la réglementation, et de la supervision du risque lié à la culture.
- Nous controns les menaces que pose le blanchiment d’argent pour l’intégrité et la sécurité des institutions grâce à nos équipes de surveillance. Nous veillons à ce que les risques comme ceux liés à la conformité et à la culture soient gérés efficacement, parce qu’ils affectent directement l’intégrité et la sécurité des institutions financières. Si nous constatons des lacunes dans la gouvernance, la gestion de la conformité ou la culture, nous prendrons rapidement des mesures décisives.
- Nous nous penchons sur les questions d’intégrité et de sécurité dans leur ensemble, mais en ce qui concerne plus particulièrement les menaces liées au blanchiment d’argent, nous estimons que la charge et la responsabilité incombent aux conseils d’administration. Nous comptons sur eux pour qu’ils adoptent une vision à long terme de la lutte contre les menaces à l’intégrité et à la sécurité de leur institution. Nous nous attendons à ce qu’ils s’assurent que les hauts dirigeants investissent dans les mécanismes nécessaires pour protéger la valeur de franchise de l’institution. Et nous croyons que les intérêts des déposants et des créanciers concordent avec ceux des actionnaires ordinaires à cet égard.
- Nous savons tous que la réglementation directe du recyclage des produits de la criminalité relève du mandat du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE). Le BSIF et CANAFE travaillent en étroite collaboration. Nous utilisons les connaissances de CANAFE comme données d’entrée essentielles à son propre travail de surveillance. Notre relation est fondée sur la collaboration, et les pouvoirs en matière d’échange d’information entre les deux organismes ont récemment été accrus afin d’améliorer la coordination et la surveillance.
- Nous nous efforçons de mettre en œuvre efficacement ces pouvoirs accrus tout en explorant les moyens de partager nos connaissances avec le secteur. Une plus grande transparence et une plus grande collaboration sont essentielles pour lutter contre des systèmes de blanchiment d’argent de plus en plus complexes et maintenir la confiance du public envers le système financier du Canada.
- C’est pourquoi nous voyons d’un bon œil l’intention du gouvernement d’intégrer CANAFE au Comité de surveillance des institutions financières, une mesure qu’on peut qualifier de politique technocratique avisée.
- À mesure que les risques liés au blanchiment d’argent augmenteront, le rôle du BSIF s’élargira dans le cadre de son mandat de surveillance. Il devra veiller à ce que les cadres de culture, de gouvernance et de conformité des institutions soient suffisamment solides pour prévenir ces problèmes et y répondre. Nos efforts collectifs, tant avec CANAFE qu’avec le secteur, sont cruciaux pour préserver l’intégrité et la résilience du système financier du Canada.
Animateur :
Le cyberrisque est devenu un sujet de préoccupation dernièrement, surtout avec les immenses progrès réalisés dans le domaine de l’IA générative. Pourriez-vous nous expliquer comment le BSIF surveille ce risque et les dernières évolutions en la matière?
Surintendant – Peter Routledge :
- Les cyberincidents sont de plus en plus fréquents. Des cybermenaces sophistiquées proviennent d’acteurs parrainés par des États, qui deviennent de plus en plus agressifs et utilisent les cybermenaces pour promouvoir leurs intérêts.
- En collaboration avec des organismes de sécurité nationale, nous surveillons en permanence le cyberrisque grâce à des évaluations, à la collecte de renseignements et à une collaboration étroite avec nos partenaires nationaux et internationaux. Nous analysons les cybermenaces émergentes, nous évaluons les pratiques de résilience des institutions et nous utilisons des outils comme le signalement des incidents et les autoévaluations pour nous assurer que les institutions sont prêtes à cerner les cyberincidents, à les atténuer et à s’en remettre.
- Les institutions doivent continuellement améliorer leur capacité à détecter les cyberincidents et à réagir. Pour cela, elles doivent être proactives pour déterminer les menaces, se préparer aux perturbations et s’assurer qu’elles peuvent réagir rapidement et efficacement lorsque des incidents se produisent.
- En plus des attentes énoncées dans la ligne directrice B-13, nous avons élaboré un certain nombre de ressources pour les aider à y parvenir, notamment :
- l’autoévaluation en matière de cybersécurité pour évaluer leur état de préparation;
- le signalement des incidents liés à la technologie et à la cybersécurité pour guider la gestion et le signalement des incidents;
- le cadre d’exécution du test de la cyberrésilience fondé sur le renseignement du BSIF pour cerner et corriger les faiblesses de leurs cyberdéfenses au moyen d’attaques simulées.
- Ces outils fournissent aux institutions des consignes pratiques pour renforcer leur capacité à réagir en cas de cyberincidents et à s’en remettre.
- Le cyberrisque va évoluer au fil du temps et prendre d’autres formes encore plus opaques. Nous devons rester vigilants et travailler avec les institutions pour mettre en place des normes de pratique en matière de cyberrisque.
Animateur :
L’ingérence étrangère est un phénomène « nouveau ». Veuillez parler du mandat élargi du BSIF ici et de ses possibles conséquences pour la réglementation au Canada.
Surintendant – Peter Routledge :
- L’ingérence étrangère n’est pas un phénomène nouveau, mais elle attire de plus en plus l’attention du public depuis les dernières années. Dans le cadre de son mandat élargi, nous avons concentré nos efforts sur ce phénomène afin de contrer ses répercussions croissantes sur le secteur financier canadien.
- L’ingérence étrangère désigne les activités qui nuisent aux intérêts et à la sécurité du Canada. Ces activités sont souvent clandestines, trompeuses ou constituent une menace pour les personnes ou les institutions, ce qui représente un risque direct pour l’intégrité et la sécurité des institutions financières.
- L’ingérence étrangère peut prendre de nombreuses formes. En voici des exemples :
- Influence sur la gouvernance : Des acteurs étrangers pourraient tenter d’influencer les membres du conseil d’administration ou les cadres supérieurs d’une institution par l’entremise du lobbying, de la coercition ou d’autres tactiques de pression. Il peut s’agir d’encourager des décisions qui vont dans le sens d’objectifs géopolitiques étrangers, comme la modification de stratégies d’investissement, le refus de services à certains clients ou la priorité accordée à des partenariats qui profitent à des entités étrangères.
- Cyberexploitation des données : Un groupe parrainé par des États lance une campagne d’hameçonnage ciblant les employés d’une institution financière afin d’obtenir un accès non autorisé à des données sensibles, comme des renseignements sur les clients ou des dossiers d’opérations financières. Ces renseignements pourraient ensuite être utilisés à des fins d’espionnage ou de financement d’activités illicites, comme le blanchiment d’argent ou le financement d’opérations géopolitiques.
- Blanchiment d’argent en vue de financer des activités étrangères au Canada : Des acteurs étrangers peuvent utiliser des systèmes de blanchiment d’argent pour faire entrer des fonds illicites au Canada afin de soutenir des opérations secrètes, des activités d’influence ou des agents travaillant au pays. Les banques peuvent involontairement devenir des intermédiaires pour ces fonds lorsque des opérations complexes sont conçues pour masquer leurs véritables origines et objectifs. Par exemple, des fonds peuvent transiter par des sociétés fictives, des comptes à l’étranger ou des entreprises apparemment légitimes avant d’être utilisés pour financer des activités comme l’ingérence politique, l’espionnage ou des campagnes d’influence.
- Les institutions financières doivent demeurer vigilantes et mettre en place une surveillance, une gouvernance et des contrôles rigoureux pour détecter ces menaces et y répondre efficacement. La ligne directrice Intégrité et sécurité du BSIF fournit aux institutions financières un cadre servant à renforcer leurs défenses contre l’ingérence étrangère. Ce cadre comprend des attentes en matière de surveillance régulière, de réponses proactives aux menaces et de signalement rapide au BSIF lorsque des risques sont détectés.
- Notre Secteur de la sécurité nationale (SSN) joue un rôle essentiel dans ce domaine en collaborant étroitement avec les partenaires des services de la sécurité et du renseignement du gouvernement du Canada. Le SSN éclaire la prise de décisions de surveillance du BSIF et favorise l’élaboration d’outils et de consignes pour renforcer les défenses du secteur financier contre l’ingérence étrangère.