Surintendant Peter Routledge participe à un entretien avec John Van Boxmeer, président de l'Association canadienne des investisseurs en obligations, lors de la conférence annuelle de l'Association canadienne des investisseurs en obligations

Discours - Toronto -

Animateur – John Van Boxmeer

Pourriez-vous tout d’abord nous exposer vos grandes priorités?

Surintendant – Peter Routledge

  • À l’approche de 2025, j’arrive à la moitié de mon mandat de 7 ans, ce qui change ma perspective.
  • L’économie du Canada changera dans les années à venir en raison de l’évolution du contexte géopolitique. Nous avons révisé nos cadres réglementaires pour répondre à l’environnement de risque (par exemple, consignes relatives au cyberrisque, au risque lié aux tiers, aux risques climatiques, à Bâle III et à l’IFRS 17). Au cours des 3 prochaines années, je compte voir la concrétisation des changements constructifs que nous avons effectués au BSIF ces dernières années.
  • Notre mandat a changé. Le gouvernement a ajouté l’intégrité et la sécurité à nos priorités de surveillance, en équivalence à la surveillance de la situation financière. Nous devons mettre au point notre approche à cet égard.
  • Nous avons également beaucoup de travail à faire pour moderniser notre environnement de données, et je n’ai aucun doute qu’on y arrivera.
  • Bien que nous ne voulions pas précipiter la modification des normes de capital des sociétés d’assurance vie ou d’assurance multirisque, nous ne devons pas perdre de vue ce dossier important.

Animateur – John Van Boxmeer

Jusqu’ici, le BSIF a eu tendance à mettre en œuvre nombre des réformes de Bâle plus rapidement que ses homologues. Parallèlement, il semble qu’un grand nombre de ses homologues aient ralenti le rythme de mise en œuvre ou réduit les exigences de fonds propres pour ce qui est de la plus récente série de réformes. Soit dit en passant, j’hésite à parler des « dernières » réformes de Bâle puisque les changements sont apparemment sans fin. D’ailleurs, est-il juste de penser que nous en sommes aux dernières étapes? Qu’est-ce que les reports dans d’autres pays signifient pour vous? Le BSIF donne-t-il une contrepartie aux banques, ne serait-ce que temporairement? Avant de répondre, n’oubliez pas que cette salle est remplie d’investisseurs obligataires, dont la plupart sont bien servis par les banques qui doivent détenir des fonds propres pour mieux protéger nos investissements.

Surintendant – Peter Routledge

  • En 2017, nous nous sommes engagés à apporter une série de réformes réglementaires d’après-crise au dispositif de Bâle III, aux côtés des organismes de surveillance des 20 pays participants. Nous avons pris cet engagement afin de rendre le système bancaire canadien plus sûr et de marquer notre volonté de contribuer à la stabilité financière internationale.
  • C’est parce que nous sommes un organisme de réglementation qui agit en amont et suit une approche fondée sur des principes que nous avons pu adopter rapidement ces règles. Notre système financier étant bien réglementé et bien capitalisé et disposant d’une abondance de liquidités, nous agissons plus rapidement que les autres. Nous n’avons pas dû franchir certaines étapes du processus législatif, contrairement à plusieurs de nos homologues de la réglementation. Le Canada a terminé début 2024 la mise en œuvre des réformes de Bâle III de 2017, et il a prévu une augmentation progressive sur trois ans du plancher de fonds propres.
  • L’adoption des réformes de Bâle III de 2017 ne s’est pas faite de manière uniforme d’un pays à l’autre. Les pays qui ont mis plus de temps à adopter ces réformes doivent généralement suivre des processus fondés sur des règles publiques dont l’exécution exige plus de temps. Il faudra encore 3 ou 4 ans avant que certains de nos homologues n’adoptent des réformes équivalentes.
  • Nous allons continuer de suivre les progrès réalisés dans les différents pays quant à la mise en œuvre des réformes de Bâle III de 2017, en nous concentrant plus particulièrement sur l’équilibre concurrentiel au sein du système bancaire et sur la solidité du régime de fonds propres du Canada. Pour ce qui est de la réglementation à l’échelle mondiale, nous ne devons pas oublier qu’il y a 10 grandes institutions financières au Canada qui exercent depuis longtemps des activités à l’échelle internationale et qui continueront de le faire. Il faut donc trouver le juste équilibre entre notre méthode de surveillance et de réglementation et les normes mondiales. Ce sera un volet très important à examiner au cours des prochaines années.

Animateur – John Van Boxmeer

L’APRA, l’organisme de réglementation bancaire australien, a récemment proposé de supprimer les instruments des autres éléments de fonds propres de catégorie 1 (AT1) des exigences de fonds propres qui s’appliquent aux banques australiennes, invoquant l’efficacité des AT1 et, il me semble, des préoccupations concernant les avoirs des investisseurs individuels. Au Canada, nous constatons que les actions privilégiées cotées en bourse d’investisseurs individuels sont délaissées au profit d’instruments AT1 encore relativement nouveaux, de billets avec remboursement de capital à recours limité (billets ARL) et d’actions privilégiées d’investisseurs institutionnels. Que pensez-vous des AT1? Et y a-t-il un risque que les versions canadiennes de ces instruments soient progressivement supprimées des exigences comme c’est le cas en Australie?

Surintendant – Peter Routledge

  • Premièrement, je tiens à rappeler que nos règles en matière de fonds propres mettent intentionnellement l’accent sur les actions ordinaires pour renforcer la résilience financière des banques et des assureurs et ainsi réduire la probabilité qu’ils fassent faillite. Autrement dit, nos attentes en matière de fonds propres pondéreront toujours fortement les actions ordinaires par rapport aux autres formes de fonds propres réglementaires.
  • Les instruments AT1 et les instruments de fonds propres de catégorie 2 jouent effectivement un rôle important dans la structure des fonds propres, et nous continuons d’avoir confiance en leur capacité d’absorber les pertes.
  • C’est un cadre cohérent de fonds propres d’urgence pour le système bancaire. Si l’un des éléments est enlevé, l’ensemble du cadre doit être repensé.  
  • Soulignons que nous envisageons toujours des changements si une mesure ne produit pas les résultats escomptés. Toutefois, pour l’heure, rien ne donne à penser qu’une telle suppression soit justifiée au Canada.

Animateur – John Van Boxmeer

Depuis un peu plus d’un an, nous entendons parler du cadre de règlement de faillite des assureurs et de possibles éléments nouveaux concernant les instruments de capital des sociétés d’assurance. Vous avez mentionné précédemment que des améliorations devaient être apportées aux outils de règlement de faillite des sociétés d’assurance, avant de préciser que vous ne pensiez pas à la structure des instruments de capital lorsque vous avez fait ces observations. Par ailleurs, nous savons que la ligne directrice sur le capital des sociétés d’assurance comporte une note de bas de page qui précise que le BSIF pourrait envisager à l’avenir d’appliquer des exigences comparables aux normes visant les fonds propres d’urgence en cas de non-viabilité des banques ou aux normes visant la recapitalisation interne. Nous avons également entendu dire que des éléments du régime de recapitalisation interne étaient envisagés pour les sociétés d’assurance dans d’autres pays. Personnellement, je ne pense pas que la raison d’être des normes visant les fonds propres d’urgence en cas de non-viabilité des banques puisse s’appliquer aux sociétés d’assurance, mais je souhaiterais savoir quelle est la position du BSIF à cet égard. Quels sont les outils de règlement de faillite qui doivent être améliorés et le BSIF envisage-t-il d’appliquer des normes visant le capital d’urgence en cas de non‑viabilité ou la recapitalisation interne à l’égard des instruments de capital?

Surintendant – Peter Routledge

  • Notre mandat consiste essentiellement à protéger les déposants, les créanciers et les titulaires de polices contre les pertes indues. Pour ce faire, nous œuvrons à préserver la confiance du public envers le système financier canadien. La crise financière mondiale nous a appris que n’importe quelle institution financière – indépendamment de sa taille, de sa complexité, de son implantation géographique ou de ses activités commerciales – peut perturber la stabilité financière si les conditions d’une telle perturbation sont réunies. Cela vaut tant pour les banques que pour les assureurs.
  • Nous sommes un organisme de réglementation qui agit en amont et, à ce titre, nous sommes conscients de l’urgence qu’il peut y avoir à devancer ces difficultés. L’année 2024 sera la plus onéreuse jamais enregistrée au Canada pour ce qui est des sinistres découlant de catastrophes. Bien que les sociétés d’assurance multirisque fédérales aient, jusqu’à maintenant, été capables de gérer les coûts financiers des catastrophes naturelles les plus probables, nous avons la possibilité d’améliorer le cadre de règlement de faillite des assureurs pour qu’il puisse contribuer à gérer des situations dans lesquelles des catastrophes de grande ampleur provoquent des pertes assurées extraordinaires.
  • Au Canada, le cadre actuel de règlement de faillite des assureurs nous a permis de composer avec les très rares cas d’insolvabilité survenus au cours des 30 dernières années. Malgré tout, des lacunes subsistent, tout particulièrement au vu de l’ampleur grandissante des sinistres éventuels.
  • Pour l’heure, je ne suis pas en mesure de dire si des normes visant le capital d’urgence en cas de non-viabilité ou la recapitalisation interne seront les bons outils pour régler les faillites des assureurs. Nous devons encore étudier, avec nos partenaires fédéraux, ces régimes ainsi que d’autres mesures d’urgence. J’ai cependant la conviction qu’il est important que nous disposions d’un vaste arsenal d’outils pour renforcer la résilience des assureurs face à de futures crises, et pour protéger la stabilité financière.

Animateur – John Van Boxmeer

Il y a eu des cas de manquements graves en matière de contrôle des dispositifs de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité. Comment le BSIF gère‑t‑il la surveillance de ces dispositifs et comment collabore-t-il avec le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), en particulier en cas de problèmes semblables à ceux qui ont récemment été mis au jour au sujet de la TD?

Surintendant – Peter Routledge

  • Je ne peux pas donner de précisions sur une institution en particulier, mais je peux vous parler de nos attentes envers les institutions financières que nous réglementons. Le gouvernement du Canada nous a confié un mandat élargi en vertu duquel nous veillons maintenant à ce que les institutions aient en place des politiques et des procédures pour se protéger contre les menaces à leur intégrité et à leur sécurité, notamment l’ingérence étrangère.
  • Si vous êtes membre du conseil d’administration d’une banque ou occupez une poste de cadre, vous travaillez dans un environnement où des auteurs de menace peuvent attaquer votre institution. Quand vous êtes attaqué, la meilleure façon d’y résister est d’établir des défenses et d’investir par anticipation dans la protection de la sécurité et de l’intégrité de votre institution contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. C’est votre responsabilité en tant qu’institution.
  • Quant à nous, au BSIF, c’est notre responsabilité de surveiller les institutions pour veiller à ce qu’elles gèrent ce risque. Pour ce faire, nous travaillerons plus étroitement avec le CANAFE et les autorités judiciaires ici au Canada afin de cerner des lacunes éventuelles d’une institution donnée, et nous nous prévaudrons de nos outils de surveillance pour y donner suite.
  • Des lacunes dans le régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité d’une quelconque institution constituent un risque prudentiel. Ces lacunes illustrent bien comment des risques non financiers peuvent devenir d’importants risques financiers.