Tolga Yalkin participe au Forum canadien de l’IIF et de l’ABC de 2024
Discours - Toronto -
Modérateur :
Pourquoi les organismes de réglementation appuient-ils l’élaboration de normes internationales?
Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :
- La collaboration avec des organismes de normalisation internationaux présente de nombreux avantages dans le contexte de l’élaboration d’exigences réglementaires applicables aux institutions financières.
- Par exemple, l’harmonisation avec des normes internationales favorise la conformité des institutions financières qui exercent des activités au‑delà des frontières nationales.
- Cela dit, force est de constater que les organismes de normalisation internationaux axent généralement leurs travaux sur les institutions financières d’envergure internationale et s’attachent tout particulièrement à promouvoir les conditions d’une concurrence équitable, et à préserver la stabilité financière, à l’échelle mondiale.
- Par conséquent, bien que les normes internationales puissent avoir pour effet de décupler la capacité d’action des organismes de réglementation lorsqu’ils élaborent des lignes directrices qui sont souvent complexes et détaillées, elles présentent tout de même des limites.
- En effet, certaines normes peuvent ne pas être adaptées à de petits acteurs nationaux, et les autorités du pays en question doivent en tenir compte, comme nous l’avons fait en traitant les petites et moyennes banques à part dans notre ligne directrice Normes de fonds propres.
- Les organismes de normalisation internationaux peuvent aussi avoir du mal à encadrer les risques plus récents qui sont moins bien définis et évoluent plus rapidement, comparativement, par exemple, aux risques financiers classiques comme l’effet de levier.
Modérateur :
Le degré d’harmonisation des normes des organismes de réglementation nationaux avec les normes internationales a-t-il évolué récemment?
Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :
- L’harmonisation de la réglementation entre les différentes administrations n’est pas parfaite, et elle l’a d’ailleurs rarement été par le passé, mais les normes internationales ont comme effet d’instaurer un certain nombre d’éléments communs entre les pays. Dans certains cas, nous avons pu constater une harmonisation et une convergence accrues; par contre, nous avons aussi noté parfois l’apparition de divergences.
- Par exemple, au chapitre de la gestion du risque climatique, nous avons observé une convergence des cadres de communication d’information sur les émissions. Bien que des questions subsistent quant au moment où les exigences devraient entrer en vigueur et à la façon dont les émissions devraient être calculées, le cadre général régissant les émissions de gaz à effet de serre de portée 1, 2 et 3 continue de prévaloir.
- Concernant la version finale du dispositif réglementaire de Bâle III, même si nous avons pu voir une certaine convergence, nous avons aussi constaté des retards dans la mise en œuvre du dispositif et dans l’apport des ajustements requis au niveau des administrations.
- De tels ajustements font partie intégrante de l’adoption de normes internationales. L’harmonisation à l’échelle internationale aide certes les institutions financières à exercer leurs activités dans d’autres administrations, mais chaque organisme de réglementation national doit néanmoins se demander si l’approche proposée concorde avec les principaux risques auxquels son secteur financier est exposé ainsi qu’avec le mandat qui lui a été confié par le gouvernement.
- Malgré tout, certains pourraient soutenir que la codification accrue des risques non financiers en normes internationales a accentué ces tensions. S’il ne fait aucun doute que les risques financiers et les normes qui y sont associées peuvent provoquer la controverse, le débat entourant le mode de traitement des risques non financiers peut parfois être encore plus sensible et sujet à polémique.
Modérateur :
Comment l’élaboration de normes internationales peut-elle décupler la capacité d’action des organismes de réglementation?
Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :
- Le secteur financier est complexe, et les risques à gérer s’intensifient et évoluent sans cesse. À cela s’ajoute le fait que les approches de gestion de ces risques exigent un degré élevé d’expertise et des efforts considérables pour être traitées et mises en œuvre dans les activités de surveillance quotidiennes.
- Or, les organismes de réglementation ne disposent pas de ressources illimitées, de sorte qu’ils doivent trouver des moyens de maximiser leur influence. L’élaboration de normes internationales est une façon de tirer parti de l’expertise disponible dans d’autres administrations pour atteindre un objectif commun.
- En travaillant ensemble, par exemple en se répartissant des activités et analyses à effectuer, en envisageant collectivement les problèmes et en proposant des approches, ces organismes peuvent trouver une solution plus complète et plus globale que s’ils agissaient seuls.
- C’est pour cela que le BSIF collabore avec d’autres organismes de réglementation dans le cadre de l’élaboration de normes internationales. Cependant, cela ne signifie pas que le BSIF se contente d’adopter passivement les normes internationales : en premier lieu, notre participation active aux travaux d’élaboration des normes nous permet d’influer sur leur contenu, selon nos propres opinions sur la forme que devraient prendre ces normes. En second lieu, une fois qu’une norme internationale a été élaborée, nous prenons un peu de recul, et nous évaluons si elle concorde ou non avec les objectifs du Canada. Nous mettons en œuvre uniquement les aspects qui présentent une pertinence dans la perspective canadienne.
Modérateur :
Quels sont les éléments dont tiennent compte les organismes de réglementation lorsqu’ils envisagent d’adopter des normes internationales?
Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :
- Au BSIF, nous cherchons à collaborer sur les normes internationales qui touchent les secteurs que nous réglementons, leurs produits et les risques auxquels ils font face, de même que sur les normes qui contribuent à l’établissement et au maintien d’une assise solide au regard des sociétés mères étrangères exerçant, ou souhaitant exercer, des activités au Canada.
- Le BSIF collabore étroitement avec des organismes internationaux de normalisation, comme le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB), le Conseil de stabilité financière (CSF) et l’Association internationale des contrôleurs d’assurance (AICA).
- Dans le cadre de ces initiatives de collaboration, nous nous efforçons de faire en sorte que ces normes internationales reflètent le contexte propre au Canada. En d’autres termes, nous nous efforçons d’influer sur l’élaboration des normes afin qu’elles constituent des instruments appropriés pour composer avec le risque sous-jacent, en nous fondant sur notre expérience et notre perspective particulière.
- Une fois qu’une norme internationale a été élaborée, avant de l’intégrer à nos propres attentes, nous l’examinons avec soin, et nous nous demandons si cette norme ainsi que l’ensemble de ses composantes sont pertinentes de notre point de vue, s’il y a des lacunes qui subsistent et s’il y a des ajustements que nous pourrions envisager.
- Le risque climatique constitue là encore un bon exemple. Bien que, de façon générale, les attentes énoncées dans la ligne directrice B-15 concordent avec les travaux internationaux en la matière, nous avons réalisé que certaines attentes prises en compte dans ces travaux n’étaient pas particulièrement pertinentes pour les institutions financières canadiennes – et qu’il convenait donc d’en faire abstraction –, ou encore que le niveau de détail qui en découlait n’était pas justifié considérant les risques auxquels sont exposées les institutions financières canadiennes.
- Par conséquent, notre ligne directrice B-15 comporte un ensemble rationalisé d’attentes, et nous avons expressément accordé plus de latitude aux institutions financières pour s’y conformer.
Modérateur :
Quel est le rôle de l’harmonisation internationale au chapitre de la surveillance, par opposition à la réglementation?
Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :
- Nous mettons souvent l’accent sur l’harmonisation de la réglementation internationale, mais le fait est que, en fin de compte, ce sont les « surveillants » qui doivent mettre en œuvre la réglementation. Cela signifie que l’harmonisation avec les normes internationales dépend en partie, non seulement des attentes que nous établissons, mais aussi de la manière dont nous exerçons notre surveillance à la lumière de ces attentes.
- Les normes internationales sont un outil essentiel qui facilite la collaboration entre les surveillants canadiens et les surveillants du pays dit « d’accueil ». Le fait de disposer d’un cadre qui permet une compréhension commune de l’exposition au risque, de la gestion du risque et de la gouvernance d’entreprise peut favoriser la collecte de renseignements et la prise rapide de mesures correctives.
- L’approche du BSIF en matière de surveillance repose sur des méthodes et des compétences en matière de gestion du risque qui correspondent aux pratiques exemplaires de la collectivité de la réglementation. De fait, notre approche de surveillance est conforme aux normes internationales, comme les Principes fondamentaux pour un contrôle bancaire efficace du Comité de Bâle et les principes fondamentaux en matière d’assurance établis par l’Association internationale des contrôleurs d’assurance.
- Ces méthodes jettent les bases d’une surveillance efficace, mais la clé réside dans le jugement du surveillant quant au risque et aux mesures à prendre à son égard. La surveillance prudentielle est une discipline complexe et subtile qui fait fortement appel à des stratégies et à des compétences.
- C’est pourquoi nous co-présidons le Groupe de coopération en matière de surveillance du Comité de Bâle. Ce groupe dirige les travaux du Comité portant sur le renforcement de la surveillance des banques à l’échelle mondiale et sur la promotion d’une coopération robuste et efficace en matière de surveillance concernant des enjeux qui touchent les opérations bancaires transfrontalières. En cas de problèmes ayant trait à des institutions financières qui exercent des activités à l’échelle internationale, nous travaillons en étroite collaboration avec des collèges de surveillance, composés des organismes de réglementation des territoires d’attache et d’accueil, pour nous assurer que les approches adoptées sont cohérentes et harmonisées.
Modérateur :
Comment le BSIF tient-il compte de la concurrence dans le contexte de l’adoption de normes internationales?
Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :
- Une partie de notre travail en tant qu’organisme de réglementation consiste à assurer un juste équilibre entre notre approche réglementaire et la nécessité pour les institutions financières d’être concurrentielles et de prendre des risques raisonnables. Donc, chaque fois que nous envisageons une nouvelle ligne directrice ou une nouvelle attente, nous tenons compte de la question de savoir si elle reflète un juste équilibre.
- Nous examinons les normes, et nous nous demandons quelles sont les mesures qui sont pertinentes dans le contexte canadien. Entre autres, nous étudions attentivement le risque visé par la norme internationale, mais aussi l’incidence que cette norme aurait sur la capacité des institutions financières à faire face à la concurrence.
- D’ailleurs, cette même discussion a aussi lieu au niveau international. Par exemple, dans nos collèges de surveillance, nous parlons de nos normes et de nos activités de surveillance, et de la façon dont notre approche contribue à la compétitivité des institutions financières. Les travaux de cet ordre sont utiles aux banques qui exercent des activités dans d’autres pays.
Modérateur :
Est-ce que le concept de proportionnalité joue un rôle dans la mise en œuvre des normes internationales?
Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :
- Oui. La proportionnalité joue un rôle dans la mise en œuvre de la plupart de nos attentes, que celles-ci découlent ou non de normes internationales.
- Chaque institution financière est différente. Des facteurs comme la taille, la complexité et l’emplacement des activités des institutions financières peuvent modifier sensiblement la nature des risques auxquels elles sont exposées. C’est notamment pour cette raison que, bien souvent, nous énonçons expressément dans nos lignes directrices que celles-ci devraient en principe s’appliquer dans une mesure proportionnelle à différents facteurs.
- Ce concept de proportionnalité s’applique habituellement dans le cadre de notre surveillance des institutions financières. De cette manière, les attentes – qui sont parfois relativement élevées – sont assorties d’une marge de manœuvre importante pour les surveillants lorsqu’ils déterminent dans quelle mesure, ou dans quelle proportion, ces attentes doivent s’appliquer selon le contexte et selon la situation particulière de l’institution financière.
- Ce concept peut également s’appliquer directement dans le cadre de l’élaboration de nos normes. Le traitement à part des PMB dans la ligne directrice Normes de fonds propres est un bon exemple de ce type d’adaptations locales.
- Bien que l’application du concept de proportionnalité à nos normes soit pleine de bon sens, cela implique de savoir concilier précision et souplesse.
Modérateur :
Le BSIF réexamine-t-il son approche en matière de risque de modélisation à la lumière de l’évolution du contexte du deuxième pilier?
Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :
- Plus tôt cette année (en 2024), nous avons effectué une consultation sur les révisions à apporter à la ligne directrice E-23, Gestion du risque de modélisation. Ces révisions proposées ont pour but de nous aider à suivre le rythme de l’environnement de modélisation qui évolue rapidement. Elles visent également à élargir :
- le champ d’application de sorte qu’il englobe toutes les institutions financières fédérales et tous les régimes de retraite privés fédéraux;
- les modèles visés au-delà de ceux qui sont couverts dans la version actuelle de la ligne directrice E-23.
- Dans le contexte du deuxième pilier, la version actuelle de la ligne directrice E-23 établit déjà des attentes au sujet de l’utilisation de modèles aux fins du processus interne d’évaluation de l’adéquation des fonds propres (PIEAFP) d’une institution.
- Les révisions proposées à la ligne directrice E-23 n’ont pas pour but de diminuer ou de modifier nos attentes ou notre approche à l’égard du risque de modélisation dans le contexte du deuxième pilier.
Modérateur :
Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus d’approbation des modèles?
Surintendant auxiliaire Tolga Yalkin :
- Les principes et les processus présidant à l’évaluation des modèles internes utilisés à l’égard des fonds propres réglementaires sont décrits dans le Programme d’évaluation des modèles de fonds propres (PEMFP).
- Les exigences décrites dans le PEMFP sont conçues de façon à s’assurer que les institutions établissent des modèles qui respectent les exigences énoncées dans la ligne directrice Normes de fonds propres (NFP), dans les notes de mise en œuvre applicables et dans la ligne directrice E-23 dès le départ et sur une base continue.
- Avant d’établir son délai de réponse aux demandes que les institutions présentent pour leurs modèles, le BSIF a considéré l’importance d’une telle décision sur leurs processus de planification des fonds propres. Il faut prévoir un délai de six mois pour l’approbation d’une demande portant sur un nouveau modèle, et de trois mois dans le cas d’une modification importante d’un modèle.
- Le délai réel peut toutefois varier selon la complexité du dossier, de même que la qualité et l’exhaustivité des documents soumis.