Opérations réglées par la livraison de marchandises
Type de publication : Décision ayant valeur de précédent
Question :
La question était de savoir si une institution financière fédérale (IFF)
Contexte :
Une banque étrangère (BE) a demandé au BSIF de reconsidérer son interprétation de la loi selon laquelle une IFF ne peut exercer des opérations réglées par la livraison de marchandises au Canada que par l’entremise de ses filiales de courtage de valeurs mobilières. La BE était d’avis que les risques seraient essentiellement les mêmes que l’opération soit exercée indirectement par l’entremise d’une filiale de courtage de valeurs mobilières, comme c’est le cas à l’heure actuelle, ou qu’elle soit exercée directement par sa succursale canadienne.
Pour illustrer son point de vue, la BE a fourni l’exemple suivant se rapportant à une opération sur dérivés énergétiques fondés sur des contrats de gaz naturel. Un producteur d’énergie a conclu un accord pour financer l’aménagement d’un puits de gaz naturel et souhaitait bloquer les marges de production au moyen de mécanismes de couverture afin de gérer le risque économique lié à son projet. Pour se prémunir contre le risque de baisse des prix, le producteur demanderait à une personne solvable un prix fixe pour le gaz naturel qu’il produira au cours d’une période donnée. Les volets « au comptant » et « réglée par la livraison de marchandises » de l’opération se dérouleraient comme suit :
Opération au comptant — Le producteur conclurait un accord de swap de gaz naturel avec la BE aux termes duquel il accepterait de verser à la BE le prix variable du marché pour une quantité notionnelle de gaz naturel sur une période déterminée, tandis que la BE s’engagerait à verser un prix ferme pour la même quantité notionnelle de gaz naturel au cours de cette même période déterminée. Le producteur devrait quand même vendre le gaz naturel à un ou plusieurs acheteurs qui en prendraient livraison au pipeline à une date de livraison donnée. À des moments convenus d’avance pouvant correspondre plus ou moins aux dates de livraison, le producteur et la BE régleraient l’écart entre le prix convenu et le prix variable du marché. Par exemple, si le prix du marché était inférieur au prix convenu, la BE verserait la différence au producteur pour le gaz livré à la date de livraison. Pour couvrir ses risques relativement à cette opération, la BE conclurait un ou plusieurs contrats sur instruments dérivés avec d’autres contreparties.
Opération réglée par la livraison de marchandises — Le producteur conclurait avec la BE un contrat aux termes duquel il s’engagerait à vendre, et la BE s’engagerait à acheter, une quantité donnée de gaz naturel à un prix convenu pour une période de livraison donnée. Il incomberait à la BE, et non au producteur, de trouver un ou plusieurs acheteurs qui prendraient livraison du gaz à chaque date de livraison déterminée. Après livraison du gaz au pipeline par le producteur, la BE serait inscrite auprès du réseau de NOVA à titre de participant recevant le gaz acheminé par le pipeline à chaque date de livraison déterminée. La BE assumerait provisoirement la propriété du gaz pendant la période entre les dates de livraison par le producteur (livraison aux termes des contrats d’achat) et les dates de livraison à l’acheteur (livraison aux termes des contrats de vente), c’est-à-dire au plus tard à la date de livraison par l’exploitant du pipeline (la date de livraison). Si, à une date de livraison quelconque, le volume des achats de la BE n’équivalait pas au volume de ses ventes du fait qu’un acheteur n’a pas pris livraison du gaz, la BE vendrait une partie de ce gaz à la bourse (NGX) dans un délai d’un jour de bourse. De cette façon, une personne autre que la BE prendrait livraison du gaz comme l’exigent les conditions d’inscription de la BE auprès du réseau de NOVA.
Dans le cadre des opérations au comptant ou réglées par la livraison de marchandises qui précèdent, la BE assume essentiellement le risque économique/de crédit du producteur (c.-à-d. qu’elle fournit une contrepartie solvable et garantit la stabilité des prix sur un marché des plus volatils) tout en couvrant sa propre position contre les effets d’une éventuelle détérioration des prix. Toutefois, dans le cas d’une opération avec livraison, la BE assume en outre le risque de livraison du producteur (en garantissant que quelqu’un prendra livraison du gaz à chaque date de livraison déterminée).
Considérations :
Les répercussions de la demande de décision soumise par la BE vont au-delà de l’exemple qui précède. D’autres IFF exercent des opérations au comptant sur marchandises et pourraient vouloir exercer en outre des opérations réglées par la livraison de marchandises. Pour déterminer si une IFF peut exercer des opérations réglées par la livraison de marchandises, le BSIF a tenu compte de ce qui suit :
- Par l’effet du passage « Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi... » figurant aux paragraphes 410(2) et 539(2) de la Loi sur les banques , l’interdiction de faire le commerce d’articles ou de marchandises ne vaut que pour les opérations qui ne se rattachent pas aux opérations bancaires.
- Les tribunaux du Canada ont statué que le concept des opérations bancaires, qui englobe la prestation de services financiers, n’est pas immuable; il évolue parallèlement aux activités des banques. L’étendue des pouvoirs qu’une banque peut exercer a été évaluée compte tenu des activités que les banques exercent de façon générale, au Canada et à l’étranger.
- À l’heure actuelle, plusieurs banques canadiennes exercent des opérations au comptant sur marchandises par le biais de contrats sur dérivés dans le cadre de leurs opérations bancaires.
- Dans le cadre des opérations au comptant ou réglées par la livraison de marchandises, l’IFF assume le risque économique/de crédit d’un client qui fait le commerce de marchandises transigées en bourse ou sur le marché. S’il s’agit d’une opération réglée par la livraison de marchandises, l’IFF assume en outre le risque de livraison de son client. Bref, elle rehausse la solvabilité de l’opération entre le vendeur et l’acquéreur des marchandises. Ce rôle n’est pas très différent de celui que jouent les banques lorsqu’elles fournissent des acceptations bancaires, un service aisément assimilé à l’intermédiation financière.
- Lorsqu’une IFF conclut des opérations réglées par la livraison de marchandises à des fins de gestion du risque économique ou financier :
- elle assume provisoirement la propriété des marchandises jusqu’à la date de livraison déterminée ou la date d’échéance de l’opération (c.-à-d. la date à laquelle une personne doit prendre possession des marchandises);
- cette propriété provisoire des marchandises par l’IFF est accessoire à la prestation de services financiers;
- l’IFF détient provisoirement la propriété des marchandises :
- soit dans un système d’inscription en compte (p. ex., le réseau NOVA, London Metal Exchange, Johnson Matthey ou la Monnaie royale canadienne),
- soit sous forme d’une participation constatée par une autre IFF ou une entité autre qu’une IFF agissant comme intermédiaire,
- soit en conservant des titres de propriété, p.ex., des reçus d’entreposage.
- En assumant ainsi la propriété provisoire des marchandises, l’IFF ne serait pas exposée à des risques commerciaux dont la nature ou le degré différerait de ceux qu’elle assume déjà dans le cadre des contrats au comptant sur instruments dérivés. L’IFF ne serait pas propriétaire d’une quantité précise ou déterminée de marchandises et ne serait pas propriétaire même d’une part chiffrable de marchandises fusionnées au-delà de la date de livraison déterminée ou la date d’échéance, à moins qu’une contrepartie ne manque à ses engagements à cette date de règlement. Dans ces circonstances, l’on s’attend à ce que l’IFF puisse rapidement céder la propriété des marchandises à une autre personne puisque ces dernières sont transigées en bourse ou sur le marché.
- La conséquence ultime d’un défaut dans le cadre d’une opération réglée par la livraison de marchandises serait la même que dans le cadre d’une opération au comptant. Par exemple, si l’IFF est le vendeur aux termes d’une opération réglée par la livraison de marchandises et que l’acquéreur initial « A » n’effectue pas le paiement prévu et ne prend pas possession des marchandises, l’IFF devra vendre ces dernières à un autre acquéreur « B », qui paiera alors le prix du marché et prendra livraison des marchandises. Si l’acquéreur B a payé un prix moins élevé que celui que devrait payer l’acquéreur A, l’IFF réclamera à l’acquéreur A la différence entre le prix convenu et le prix du marché. De même, dans le cadre d’une opération au comptant, l’acheteur A verserait à l’IFF la différence entre le prix convenu et le prix du marché, à défaut de quoi l’IFF lui réclamerait ce montant, notamment par le biais des tribunaux si cela était nécessaire.
- Lorsqu’une IFF exerce une opération réglée par la livraison de marchandises dans le but de gérer le risque financier auquel ses clients sont exposés, elle fournit un service financier. Le commerce de marchandises se rapportant à cette opération ne contreviendrait pas aux paragraphes 410(2) ou 539(2) de la Loi sur les banques , ni aux dispositions correspondantes de la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt , de la Loi sur les sociétés d’assurances ou de la Loi sur les associations coopératives de crédit .
- Il est intéressant de noter qu’aux États-Unis, l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC)
Voir la lettre d’interprétation de l’OCC no 962, du 21 avril 2003. a statué que les banques peuvent régler et couvrir des opérations sur dérivés énergétiques en acceptant puis en cédant immédiatement la propriété du produit énergétique dans le cadre d’une série de transferts de propriété. L’OCC estime que ces opérations sont accessoires ou commodes, et qu’elles facilitent les opérations des banques sur dérivés énergétiques, qui aident les clients des banques à gérer leurs risques financiers. - Puisque les opérations réglées par la livraison de marchandises sont motivées par les clients, le BSIF s’attend à ce que l’IFF les examine adéquatement pour bien comprendre la nature et la structure de l’opération du client.
Conclusion :
- Du point de vue juridique, le BSIF conclut qu’une IFF peut exercer des opérations réglées par la livraison de marchandises et toutes activités afférentes, si, à la fois, elle :
- ne participe à de telles opérations qu’avec des clients qui sont des producteurs ou des utilisateurs finaux aux fins d’offrir à ces derniers des services de gestion de risques financiers, ou avec d’autres intermédiaires du marché afin de gérer ses engagements à l’égard des marchandises concernées;
- n’assume la propriété des marchandises que de façon transitoire, et uniquement en rapport avec le règlement de cette opération et dans le but de faciliter ce règlement.
Lorsqu’une banque, une BE agissant par l’entremise de sa succursale canadienne ou une autre IFF exerce des opérations réglées par la livraison de marchandises conformément aux conditions qui précèdent, elle fournit un service financier.
- Au plan prudentiel, le BSIF s’attend à ce que l’IFF qui exerce des opérations réglées par la livraison de marchandises disposera, à la fois :
- de politiques et procédures adéquates pour mesurer et gérer ses risques, notamment des mesures conçues pour, à la fois :
- compenser le risque qu’elle pourrait devoir prendre livraison des marchandises (p. ex., exercer des opérations réglées par la livraison de marchandises que lorsqu’il existe un système adéquat et efficient de transfert de propriété, de même qu’une bourse ou un marché reconnu);
- effectuer un examen approprié des opérations ayant une structure complexe impliquant des produits dérivés de marchandises, pour bien comprendre la nature et la structure de l’opération de son client;
- de la capitalisation requise en fonction du risque assumé par l’exercice d’opérations réglées par la livraison de marchandises.
- de politiques et procédures adéquates pour mesurer et gérer ses risques, notamment des mesures conçues pour, à la fois :
Références législatives :
En vertu du paragraphe 538(1) de la Loi sur les banques , l’activité que la banque étrangère autorisée exerce au Canada doit se rattacher aux opérations bancaires.
En vertu de l’alinéa 538(2)a) de la Loi sur les banques , la prestation des services financiers est notamment considérée comme une opération bancaire.
En vertu du paragraphe 539(2) de la Loi sur les banques , sauf autorisation prévue sous le régime de ladite loi, il est interdit à la banque étrangère autorisée d’exercer quelque activité commerciale que ce soit au Canada et notamment de faire le commerce d’articles ou de marchandises.
Tableau de concordance :
Description de l’article | LB | LSFP | LSA | LACC |
---|---|---|---|---|
Activité principale | 409(1), 538(1) | 409(1) | 440(1) | 375(1)(a) |
Activités incluses | 409(2)(a), 538(2)(a) | |||
Restriction | 410(2), 539(2) | 410(2) | 441(3) | 376(3) |
Le tableau de concordance renvoie à d’autres dispositions des lois régissant les institutions financières fédérales susceptibles d’être pertinentes pour le lecteur.