Peter Routledge, surintendant, participe à un entretien informel avec Sonia Baxendale, présidente et cheffe de la direction du Global Risk Institute, dans le cadre du Sommet annuel de 2024 du Global Risk Institute
Discours - Toronto -
Le texte prononcé fait foi
Sonia Baxendale, animatrice :
Je trouve intéressant que les organismes de réglementation prudentielle mettent autant l’accent aujourd’hui sur la notion de croissance économique plutôt que sur la résilience des banques, car c’est quelque chose d’entièrement nouveau de leur part. Lorsque je travaillais dans le secteur bancaire, je me souviens que les organismes provinciaux de réglementation prudentielle portaient toute leur attention à la résilience, mais pas vraiment à la croissance économique.
Ce changement de perspective m’intéresse. Et je me demande comment nous devrions interpréter le fait qu’une banque plaide en faveur de la croissance économique, en particulier à une époque où l’on pourrait espérer un resserrement des conditions applicables aux fonds propres et où l’on considère le contexte plus difficile.
Peter Routledge, surintendant :
C’est une excellente question. En fait, elle est soulevée en raison même du succès que nous avons connu depuis la crise financière mondiale. Preuve de ce succès, nous avons réussi à traverser l’année 2023. Le choc a été assez brutal, et d’importantes faillites bancaires sont survenues des deux côtés de l’Atlantique.
Il n’y a pas eu de récession ni de véritables hausses du taux de chômage, et le système a très bien tenu le coup. Même en remontant plus loin, nous avons bien résisté au choc initial de la COVID-19 et au krach éclair de mars 2020. Nous sommes loin de la perfection, mais je pense que nous avons accompli beaucoup de choses au cours des 15 dernières années qui ont suivi la crise financière.
Il est naturel de vouloir en faire plus. Lorsque je suis entré en fonction, quelqu’un m’a dit que le blâme retombait toujours sur le surintendant si une banque faisait faillite. Je ne crois pas que ce soit vrai. Et comme cette phrase m’a été dite sourire en coin, je ne veux pas en exagérer la portée. Toutefois, il y a cette tendance naturelle à croire que, en tant que chef d’un organisme de réglementation, si je n’interviens pas et que je laisse une institution financière faire faillite, c’est ma faute, donc je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour prévenir cela.
En insistant sur la constitution de réserves plus importantes au cours des 15 dernières années, nous avons non seulement créé de la résilience, mais aussi commencé à faire pression sur les rêves, les ambitions et les stratégies de croissance des institutions que nous réglementons. Ces institutions ont commencé à dire qu’elles en avaient assez. Elles ont ajouté que si nous allions plus loin, elles ne seraient plus en mesure de prêter autant qu’elles le souhaiteraient ou que la collecte de dépôts ou les stratégies de financement devraient changer d’une façon qui pourrait nuire à la croissance économique.
Un organisme de réglementation des banques éclairé sait que la santé prudentielle d’un système est considérablement renforcée par une économie saine qui croît à travers les cycles économiques.
Sonia Baxendale, animatrice :
Merci. Permettez-moi d’aborder un sujet qui, je le sais, est au cœur des préoccupations de nombre de nos membres, à savoir le marché de l’habitation et des prêts hypothécaires.
Le ratio prêt-revenu, qui est destiné à servir de filet de sécurité au taux admissible minimal, entrera en vigueur au premier trimestre de 2025. Vu cette nouvelle exigence et les attentes à l’égard des institutions financières, que se passera-t-il dans le marché de l’habitation et pour le taux admissible minimal?
Peter Routledge, surintendant :
Je vais aborder le taux admissible minimal et le test associé au ratio prêt-revenu en commençant par le taux admissible minimal. Nous l’avons mis en place au début de 2018. Ce taux a certainement ajouté un peu de discipline à la souscription en permettant de tester la résistance des revenus des ménages à la hausse des taux d’intérêt.
Toutefois, deux problèmes se posent en ce qui le concerne. Le premier, c’est qu’il n’a pas empêché une accumulation très importante de prêts hypothécaires avec des ratios prêt-revenu très élevés, que je définis comme un ratio prêt-revenu de 450 % et plus.
Malheureusement, au cours de la pandémie de COVID-19, ce gros bloc d’emprunteurs hypothécaires fortement endettés a également été pondéré par des produits à taux variable comportant des éléments de paiement fixe, ce que nous considérons comme une concentration de risques gérables, mais graves. En raison de tous les efforts investis dans le taux admissible minimal, j’aurais préféré ne pas voir cette concentration de risques. C’est le premier défi.
Le deuxième défi est lié à la manière dont il est mis en œuvre, c’est-à-dire au niveau de l’institution qui doit ensuite l’appliquer à l’emprunteur. L’emprunteur a l’impression que c’est le BSIF qui le réglemente personnellement. Ce n’est pas l’intention de cette mesure. J’aurais beau vous lire la ligne directrice B-20 et affirmer que nous ne réglementons que les institutions et non les emprunteurs, si vous vous rendez dans votre succursale un samedi après-midi pour parler du renouvellement d’un prêt hypothécaire ou d’une nouvelle hypothèque, vous aurez l’impression que le BSIF vous réglemente vous alors que le gouvernement ne lui a jamais confié cette mission.
Le BSIF a pour mandat de réglementer les institutions financières, et non les Canadiens. Mais le taux admissible minimal crée cette perception, et c’est là que réside la difficulté à mon avis. C’est en gardant ces défis à l’esprit et en nous inspirant de nos homologues de la réglementation et d’autres territoires, en particulier le Royaume-Uni, que nous avons examiné le test associé au ratio prêt-revenu.
En fait, il s’agit d’un test assez simple. Chaque trimestre, une banque ou un prêteur ne peut consentir que 15 % de ses prêts hypothécaires à des emprunteurs dont le ratio prêt-revenu est supérieur à 450 %. Il s’agit d’un plafond très efficace qui empêche la concentration de risques.
Lorsque nous avons examiné et mis à l’essai ce test, nous avons découvert qu’un plafond unique de 15 % ou de 20 % pour l’ensemble du secteur ne fonctionnerait pas. Nous avons décidé de créer un modèle sur mesure. Nous fonctionnerions institution par institution et nous calibrerions le tout en fonction des modèles d’affaires.
Nos contrôles ex post de cette méthode nous indiquent qu’elle aurait éliminé, ou du moins fortement atténué, la concentration de risques que je viens de mentionner, et qu’elle ne touche pas du tout l’emprunteur. Il s’agit d’une mesure qui n’implique que l’organisme de réglementation et les institutions financières.
Nous allons le mettre à l’essai l’année prochaine, et s’il fonctionne comme prévu, nous devrons probablement procéder à quelques ajustements, mais nous nous attendons à ce que ce soit une solution de rechange parfaitement acceptable au taux admissible minimal ou un complément à celui-ci. Nous prendrons cette décision après une année complète d’essai pour nous assurer que si nous faisons quelque chose, nous le faisons bien.
Sonia Baxendale, animatrice :
J’ai un petit commentaire à ce sujet. Si nous avons l’impression que cette mesure est défavorable pour le consommateur, c’est-à-dire l’emprunteur, est-ce un facteur que vous prendrez en considération pour réévaluer s’il s’agit d’une bonne mesure? Si elle a une incidence sur le marché de l’habitation, en tiendrez-vous compte?
Peter Routledge, surintendant :
Ces facteurs ne seront pas pris directement en considération. Ce qui nous intéresse, c’est la solidité des dossiers de souscription. Cependant, indirectement, un intérêt personnel éclairé nous indiquerait la valeur globale des garanties, si survenait une baisse soudaine et volatile de la valeur globale des garanties qui diminueraient la qualité du crédit et affaibliraient la capitalisation dans le système.
Nous devons tenir compte de cette réalité et prendre des décisions en toute connaissance de cause qui s’appuient principalement sur notre mandat, sans ignorer les facteurs indirects qui ont une incidence sur le taux admissible minimal ou sur l’application de saines pratiques de souscription dans le secteur des prêts hypothécaires.
Les Canadiens perçoivent le taux admissible minimal comme une influence du BSIF. Pour citer un exemple, nous avons récemment (et avec grand bruit) cessé d’exiger que les institutions appliquent la simulation de crise des taux d’intérêt hypothécaires ou le taux admissible minimal lorsque des emprunteurs de prêts non assurés transfèrent leur hypothèque d’un prêteur à un autre. Autrement dit, l’amortissement ne change pas et le montant du prêt hypothécaire ne change pas. Il s’agit alors d’un transfert direct.
Dans ce cas, les prêteurs n’ont plus besoin d’appliquer les simulations de crise aux prêts hypothécaires non assurés, du moins en ce qui concerne le BSIF. Ils peuvent encore choisir de le faire. Nous avons pris cette mesure parce que, avant l’introduction du taux admissible minimal, les transferts directs représentaient de 2 à 6 % des renouvellements. Après l’entrée en vigueur du taux admissible minimal en 2018, ils ont varié de 2 à 6 %. Puisque 95 % des Canadiens ne transfèrent pas leurs prêts hypothécaires, ce n’était pas un réel problème de nature prudentielle.
Mais si j’étais un Canadien avec un prêt hypothécaire à taux variable et à versements fixes, que je devais le renouveler dans un an, que le solde était plus élevé en raison de l’amortissement négatif et que le taux hypothécaire allait être plus haut, et donc que j’allais être soumis à une simulation de crise beaucoup plus rigoureuse, j’aurais l’impression que la simulation de crise imposée par le BSIF entraverait ma capacité à obtenir une hypothèque, et ce facteur a joué dans notre prise de décision.
Même si cette situation ne devrait s’appliquer qu’à un nombre limité de Canadiens, je ne pense pas que ce soit ni le rôle ni l’objectif du BSIF. Je pense qu’elle risque de miner la confiance envers notre organisme et nous devons en tenir compte.
La leçon que j’ai tirée de ces trois premières années, c’est que les organismes dont les fonctionnaires non élus sont au service d’un gouvernement élu par la population doivent rester dans le périmètre du mandat que leur a confié le Parlement et faire très attention à ne pas en sortir de peur de saper la confiance dans leur institution.
Sonia Baxendale, animatrice :
Permettez-moi de passer à l’environnement macroéconomique et à la résilience financière. Examinons les circonstances actuelles. La Banque du Canada a réduit son taux de 75 points de base au cours des derniers mois, et il est probable que d’autres baisses sont à venir.
Parallèlement, les dépenses de consommation sont faibles, le chômage augmente doucement, les créations d’emplois concernent essentiellement le secteur public et le climat d’investissement commercial n’est pas très favorable. Compte tenu de toutes ces conditions macroéconomiques, quel est votre avis sur la résilience du système financier dans son ensemble? Comment cette résilience s’inscrit-elle dans ce contexte et comment l’évaluez-vous dans le contexte du Regard annuel sur le risque 2024-2025?
Peter Routledge, surintendant :
Nous venons d’actualiser notre regard semestriel sur le risque et la situation du risque n’a pas bougé. Le risque lié aux prêts hypothécaires résidentiels ainsi que le risque lié à l’immobilier commercial, à la liquidité de même que l’intégrité et la sécurité demeurent, avec en toile de fond une intensification du risque géopolitique.
À l’échelle mondiale et régionale, nous avons réussi à baisser l’inflation, qui constitue une menace économique à long terme nuisant à la capacité de notre économie à croître durablement. C’est là une très bonne nouvelle et je pense que cela aura pour effet de renforcer la confiance. Lorsque je retire ma casquette de surintendant, je suis assez optimiste quant à l’avenir.
Lorsque je remets ma casquette de surintendant, ce qui est après tout ma fonction, si je ne redeviens pas pessimiste, je suis du moins sainement méfiant. Les domaines qui font naître une certaine circonspection chez moi, voire de la crainte, sont ceux dont nous ne saisissons pas bien les contours et dont les risques sont plus difficiles à percevoir.
L’évolution du contexte géopolitique entraîne de nouveaux risques auxquels nous ne sommes pas habitués. Même si nous sommes en mesure de les observer, il reste difficile de les analyser et d’en faire le tri. Le cyberrisque en est un bon exemple : comment mesurer la probabilité qu’une institution financière soit touchée par une cyberattaque? Je peux mesurer la qualité des défenses mises en place, mais je ne peux pas déterminer l’efficacité des cyberattaques tant qu’elles n’ont pas eu lieu.
Le risque lié au recyclage des produits de la criminalité n’est pas seulement un problème lié au blanchiment d’argent dans un contexte local, c’est un enjeu qui dépasse les frontières. Ce risque est plus important que je ne l’avais imaginé il y a trois ans, lorsque je suis entré en fonction.
Le dernier risque est difficile à percevoir et c’est probablement le plus menaçant. Il s’agit du risque émanant des établissements non bancaires. L’une des conséquences de l’existence de systèmes bancaires plus solides et plus résistants est l’émergence d’établissements non bancaires qui fournissent des services intermédiaires. Certains sont très réglementés, comme les sociétés d’assurance vie ou les autres sociétés d’assurance, et d’autres ne le sont pas beaucoup, par exemple les fonds spéculatifs, les fonds de capital-investissement ou les fonds de crédit privé.
En général, lorsqu’il y a une croissance rapide dans un espace peu réglementé des services financiers, une crise et une catastrophe risquent de compromettre la stabilité du système. Je ne suis pas en train de dire que cela se produira, mais je reste inquiet.
Sonia Baxendale, animatrice :
Nous venons d’avoir une séance en petits groupes sur le crédit privé. Les intervenants semblaient dire que le risque n’était pas un enjeu et qu’il n’y avait aucune raison de réglementer ce secteur ou même de regarder dans cette direction. Comment réagissez-vous à ces propos?
Peter Routledge, surintendant :
Cette situation me fait beaucoup penser à la titrisation des prêts hypothécaires à haut risque en 2005.
Sonia Baxendale, animatrice :
Le BSIF envisagerait-il de supprimer totalement l’exigence de simulation de crise lorsqu’il introduira les nouvelles exigences de ratio prêt-revenu qui visent la concentration potentielle des prêts de même que toutes les autres exigences réglementaires? Pensez-vous que cette exigence disparaîtra?
Peter Routledge, surintendant :
La réponse honnête est que je ne sais pas. C’est ce que nous devrons déterminer l’année prochaine. Nous avons conçu le ratio prêt-revenu pour qu’il soit un complément ou une solution de rechange au taux admissible minimal et nous avons besoin d’une année pour le mettre réellement en place et vérifier si nous obtenons les effets escomptés. C’est la façon la plus responsable de procéder.
Sonia Baxendale, animatrice :
Par rapport à de nombreux autres marchés, nous n’avons pas autant d’institutions financières, ce qui n’a pas empêché des fusions. La HSBC et la Canadian Western Bank en sont des exemples. Nous avons beaucoup de très petits établissements, mais au chapitre des établissements de taille intermédiaire, le bassin se rétrécit de façon importante avec la fusion de coopératives de crédit.
Que pensez-vous de l’augmentation des parts de marché, de la dépendance croissante à l’égard d’un nombre réduit d’institutions et de la moins grande concurrence sur le marché canadien? Est-ce une préoccupation?
Peter Routledge, surintendant :
C’est une préoccupation. Et une grande partie de l’argument que je viens de présenter au sujet du plancher de fonds propres, en fait plutôt une partie que l’ensemble de l’argument, réside dans le fait que le plancher de fonds propres pourrait ou doit au moment de son entrée en vigueur rééquilibrer les fonds propres relatifs et les coefficients relatifs de pondération du risque parmi les banques d’importance systémique qui appliquent l’approche fondée sur les notations internes ainsi que parmi les banques de plus petite taille qui utilisent l’approche standard.
Il y a une différence assez importante dans la pondération des risques entre ces deux approches qui, toutes choses égales par ailleurs, dans le cas des banques qui utilisent une approche standard, les désavantage, et avantage les banques qui appliquent l’approche fondée sur les notations internes.
Lorsque ces déséquilibres ne sont pas corrigés, ils peuvent entraîner une antisélection sur le plan des risques. Même si le maintien d’une certaine concurrence ne fait pas partie de nos obligations, le mandat prudentiel exige que l’on réfléchisse à ce déséquilibre et que l’on tente de le corriger. Et il y a de multiples façons de le faire. L’adoption d’un plancher normalisé en est une. Nous pourrions également consulter les institutions que nous réglementons et qui utilisent l’approche standard pour voir de quelle façon améliorer cette approche propre au Canada, ce qui pourrait aussi égaliser les règles du jeu.
Sonia Baxendale, animatrice :
De votre point de vue, pensez-vous que nous sommes allés trop loin ou pas assez loin? Pensez-vous que nous sommes au bon endroit? Avez-vous un avis sur une future fusion?
Peter Routledge, surintendant :
Tout point de vue dont je ferais part au ministre serait un conseil au ministre, et je ne remplirais pas ma responsabilité si j’en disais plus à ce sujet.
Dans le système canadien actuel, qui comprend six banques d’importance systémique, ce qui est beaucoup pour un pays de notre taille, et certainement beaucoup plus que dans d’autres systèmes, j’ai conscience des pressions à l’égard de fusions, mais il y a encore sur le marché des institutions vraiment intéressantes, innovantes et stimulantes qui se révèlent concurrentielles et qui génèrent un bon rendement du capital. J’aime que le secteur se structure de façon prudente et l’absence de faillite bancaire au cours des 30 dernières années confirme l’utilité de cette prudence. Le statu quo prudentiel me satisfait.
Sonia Baxendale, animatrice :
Passons maintenant à l’intégrité et à la sécurité qui font partie du nouveau mandat du BSIF. Vous avez mentionné à plusieurs reprises qu’il s’agissait d’une question plus importante que vous ne l’aviez pensé à l’origine et nous sommes en mesure de constater l’émergence de défis à cet égard. Pensez-vous que ce changement va rendre le système bancaire canadien plus concurrentiel ou moins concurrentiel?
Peter Routledge, surintendant :
Notre mandat a été modifié, avec un peu d’avance, et probablement beaucoup plus que ceux d’autres organismes de réglementation à l’échelle mondiale, surtout au chapitre de l’intégrité et de la sécurité.
L’avantage, c’est que si nous le faisons intelligemment et bien, le système bancaire canadien sera plus sain et plus sûr, et toutes choses étant égales par ailleurs, ce sera un avantage net pour le pays. Un système bancaire plus sain se traduit en général par un environnement plus favorable pour la croissance économique. Nous pouvons cependant tout gâcher.
Si nous réagissons de manière excessive à certains défis, nous risquons de faire plus de mal que de bien. Je pense que tout organisme de réglementation doit faire preuve d’humilité et calibrer les résultats positifs qu’il recherche par rapport aux effets négatifs qu’il risque de produire.
Toute réglementation a un coût. Pour un organisme de réglementation du système financier, la question est de savoir quels sont les avantages pour le système. Êtes-vous certain qu’ils seront supérieurs aux coûts? Si ce n’est pas le cas, vous devriez probablement prendre une minute pour repenser le tout et atteindre cette certitude avant de faire quoi que ce soit. En particulier dans un système comme celui du Canada, où les résultats sont plutôt bons. Le fait de vouloir s’abstenir de nuire n’est pas une mauvaise politique.
Sonia Baxendale, animatrice :
Comment pouvons-nous atténuer ce risque? Je ne pense pas tant du point de vue de la réglementation, mais de celui d’une institution financière qui serait tentée de réagir de manière excessive. Il s’agit d’un nouveau règlement, fondé sur des principes. Nous devons maintenant faire preuve de discernement pour en déterminer la signification.
Je pense qu’il y a probablement une bonne dose d’inquiétude et de préoccupation quant au fait de ne pas respecter le seuil, et quant à la question de savoir quelles sont les conséquences si cela se produit. Comment éviter que les institutions financières n’aillent trop loin?
Peter Routledge, surintendant :
Il y a probablement trois choses que vous pouvez faire. La première est de s’en tenir à l’approche réglementaire fondée sur des principes. Nous élaborons des lignes directrices, pas des règles. Lorsque nous demandons aux institutions d’appliquer ces lignes directrices, nous leur demandons de s’en tenir au principe et d’adapter l’application de ce principe à leur modèle d’affaires. Les institutions et les organismes de réglementation doivent en saisir toute la portée.
Deuxièmement, en tant qu’organisme de réglementation, nous devons compter sur les conseils d’administration. Je pense que mon collègue et surintendant adjoint, Ben Gully, a prononcé un excellent discours il y a quelques mois à ce sujet. Nous comptons sur les conseils d’administration pour qu’ils fassent le nécessaire afin de protéger la valeur de franchise des institutions qu’ils gouvernent.
Il y a une limite à ne pas franchir : nous ne devons pas dicter leur conduite aux conseils d’administration. Nous devons plutôt leur montrer les éléments dans notre évaluation, les politiques et les procédures qui ne sont pas à la hauteur de ce que nous espérons en regard de nos principes, pour ensuite nous engager avec les conseils d’administration et les gestionnaires principaux dans des discussions intelligentes et à plus long terme sur la meilleure façon de respecter ces principes. Le rôle du conseil d’administration est crucial à cet égard, et le BSIF doit prendre conscience des limites à ne pas franchir dans ses relations avec les conseils d’administration.
Le troisième point concerne le BSIF à l’interne. Mon travail en tant que surintendant est de m’assurer que mes collègues font face à l’environnement de risque, s’adressent à leurs institutions réglementées, adoptent un point de vue éclairé sur la manière d’appliquer nos lignes directrices fondées sur des principes, soient à l’écoute de ceux qui sont concernés et apportent des changements sur la base d’arguments valables de la part de ces institutions réglementées.
Le conseil d’administration se trouve d’un côté et, de l’autre, on voit le BSIF, qui fait preuve de diligence, de responsabilité et d’empathie dans ses relations avec les institutions réglementées.
Sonia Baxendale, animatrice :
Ces derniers temps, on a beaucoup parlé de la gouvernance des conseils d’administration de la part de l’organisme de réglementation notamment en ce qui concerne son rôle, et même si de nouvelles lignes directrices sont publiées, qui abordent souvent certains de ces risques non financiers, nous constatons que les attentes à l’égard des conseils sont raisonnablement claires.
Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère pour les conseils d’administration et le rôle de ces derniers doit-il changer? Selon vous, les conseils d’administration sont-ils aujourd’hui armés pour réaliser leur mission? Ces risques sont plus complexes, mais la réalité est que nous avions l’habitude de traiter principalement des risques financiers et que si vous ajoutiez quelques bons comptables et chefs d’entreprise à votre conseil d’administration, ces risques allaient tous être couverts.
Mais il y a maintenant les cyberrisques, le risque climatique ainsi que les enjeux d’intégrité et de sécurité. Il s’agit d’une myriade complexe de risques sur lesquels nous demandons aux conseils d’administration de se pencher tout en se montrant responsables, en exerçant leur gouvernance, en remettant en question les idées, etc. Sommes-nous sur la bonne voie pour cette nouvelle ère et ces nouveaux risques qui pèsent sur les organisations?
Peter Routledge, surintendant :
Je prends l’exemple du fonctionnement de base. Les actionnaires engagent les membres du conseil d’administration pour qu’ils recrutent des dirigeants, en particulier le chef de la direction, et le conseil d’administration joue, à son tour, un rôle crucial de supervision des dirigeants embauchés. Nous n’avons rien à changer à cet égard, et ce bon vieux principe de superviser sans pour autant intervenir n’est pas mauvais en soi.
Ce qui a changé, c’est l’environnement de risque, et les conseils d’administration doivent modifier leur composition pour s’y adapter. Cette initiative ne relève pas du BSIF, mais des conseils d’administration avec lesquels nous travaillons. Ils reconnaissent ces risques et font appel à un plus grand nombre de membres qui comprennent les risques à un niveau plus technique.
Ils recrutent des spécialistes du cyberrisque ou des opérations qui peuvent comprendre un peu mieux des notions comme la lutte contre le blanchiment d’argent. Ils se joignent aux créanciers traditionnels qui empruntent à des banques ou aux spécialistes traditionnels de la finance qui ont une bonne compréhension du fonctionnement économique des banques. Il faut élargir l’éventail des compétences au sein des conseils d’administration.
Les meilleures pratiques des conseils d’administration, dotés cette fois des compétences adéquates, sont toujours d’actualité : mettre son nez dans les affaires, poser des questions gênantes à la direction et lui demander de rendre des comptes lorsque la réponse n’est pas satisfaisante.
Sonia Baxendale, animatrice :
Le champ d’application de la supervision exercée par le BSIF s’est élargi au fil des ans. Quelle direction souhaitez-vous lui donner dans un environnement de plus en plus complexe?
Peter Routledge, surintendant :
Nous tentons déjà de nous adapter. Chaque fois qu’un nouveau risque se présente, nous élaborons une nouvelle ligne directrice et nous la publions : gestion du risque lié aux tiers, gestion du cyberrisque, intégrité, sécurité, etc. Au cours des 25 dernières années, je ne pense pas que nous ayons supprimé l’une ou l’autre de nos lignes directrices ou de nos préavis.
En novembre, nous annoncerons une première vague de retrait de lignes directrices et d’avis qui ne sont plus vraiment pertinents. Il ne s’agit pas d’un changement radical du cadre réglementaire. En fait, c’est la partie la plus facile et nous allons nous en occuper en novembre.
La deuxième phase consistera à examiner les lignes directrices difficiles à retirer malgré nos souhaits pour déterminer si nous en avons vraiment besoin. Si nous n’avons besoin que d’une petite partie d’une ligne directrice, nous pourrons peut-être l’intégrer à une ligne directrice plus importante. Autant nous ajoutons des éléments à notre cadre réglementaire, autant nous aimerions en soustraire. Soyez à l’affût en novembre, lorsque la première vague prendra fin.
C’est la partie la plus facile, et nous consulterons ensuite nos institutions réglementées pour savoir ce que nous pourrions éliminer. C’est un bon exercice pour nous, et j’espère qu’au cours des prochaines années, nous nous astreindrons à cette discipline.
Sonia Baxendale, animatrice :
Ce matin, nous avons eu une séance avec madame Rice, ancienne ambassadrice, et nous avons eu une discussion assez exhaustive sur les risques géopolitiques de l’heure. Il n’est pas nécessaire de fouiller bien loin pour en voir les incidences. Comment envisagez-vous les risques géopolitiques d’un point de vue prudentiel dans le cadre de la réglementation des institutions financières?
Peter Routledge, surintendant :
Je ne suis pas un géopolitologue ni un expert en affaires étrangères, je ne suis qu’un simple analyste bancaire qui travaille maintenant dans un organisme de réglementation des banques. Mais j’ai vécu la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, puis cet âge d’or du libre-échange où l’on entendait cette théorie voulant que le libre-échange et les marchés libres unissent toutes les nations du monde autour d’intérêts communs. C’était un grand rêve, mais il est loin de la réalité que nous vivons aujourd’hui.
Ce que je perçois, c’est une nette augmentation des conflits géopolitiques. Je pense que nous en avons eu un exemple au Moyen-Orient, et l’invasion de l’Ukraine par la Russie en constitue certainement un autre exemple. En marge de ces opérations militaires, des conflits virtuels se déroulent en permanence dans le cyberespace.
J’ai demandé aux conseils d’administration et aux institutions que nous surveillons de considérer leurs institutions comme des nœuds dans ce système virtuel qui pourrait être attaqué par des acteurs hostiles.
De nombreuses institutions financières canadiennes sont des championnes nationales, ce qui en fait des cibles uniques en matière de risques géopolitiques, et j’ai demandé aux conseils d’administration d’y réfléchir lorsqu’ils mettront en place des mesures de défense pour protéger leurs organisations.
En l’occurrence, la vague d’attaques contre les institutions canadiennes n’est-elle pas particulière et exceptionnelle? Certains acteurs s’efforcent constamment d’attaquer les institutions financières en lançant des cyberattaques ou par d’autres moyens et, ce faisant, risquent de nuire aux institutions que nous réglementons.
J’ai demandé aux conseils d’administration de considérer le fait que leurs institutions sont exposées à des risques plus importants qui découlent de ce contexte géopolitique différent et de réfléchir à la manière de protéger leurs institutions.
Sonia Baxendale, animatrice :
Je voudrais revenir sur le thème de l’incidence de la réglementation évoqué au cours de certaines des séances qui ont eu lieu plus tôt aujourd’hui. Ce matin, nous avons eu un conférencier qui a parlé de l’IA. Il a mentionné la vitesse de la progression de l’IA par rapport au rythme de la réglementation. Si un règlement est adopté en lien avec l’IA, c’est souvent deux ans après les faits visés. L’IA change de jour en jour, de semaine en semaine ou de mois en mois, ce qui n’est pas le cas de la réglementation. Y a-t-il lieu de penser que nous devons envisager la réglementation différemment ou s’agit-il simplement d’une réalité avec laquelle nous allons devoir composer?
Peter Routledge, surintendant :
Je pense que vous avez raison de parler du rythme des changements dans chaque secteur. La réglementation évolue assez lentement et les progrès de l’IA seront probablement exponentiels. Devrions-nous accélérer le processus réglementaire? Peut-être un peu, mais pas vraiment. Surtout, ne pas nuire.
L’IA présente des risques très importants, mais ouvre aussi un monde de possibilités. Je pense que l’un des risques que nous devons accepter, c’est qu’il nous faudra un peu plus de temps pour mettre en œuvre des réponses réglementaires à l’IA, et ce que vous venez de mentionner constitue le risque qui accompagne ce délai. L’IA pourrait vraiment prendre son essor et créer des risques que nous ne concevons pas encore, puis provoquer une crise à laquelle nous devrons réagir.
Je pense qu’à l’heure actuelle, il est prudent d’accepter ce risque pendant que nous commençons à développer notre compréhension de cet univers et non de nous retenir de réagir par réflexe, ce qui pourrait nuire au développement de cette technologie.
Je ne dis pas que c’est sans risque, je dis que nous travaillons avec diligence, mais discrètement pour comprendre le phénomène. Mais il faudra un certain temps avant que nous n’élaborions de véritables règlements ou lignes directrices à ce sujet. Je ne pense pas que nous comprenions suffisamment bien les tenants et aboutissants de ce secteur pour le réglementer.
Sonia Baxendale, animatrice :
Nous venons également de tenir une séance de discussion sur le système bancaire ouvert, qui est à l’ordre du jour depuis un certain temps ici au Canada, et nous nous attendons à recevoir de nouvelles orientations à ce sujet dans le courant de l’année.
Je pense qu’il est clair que l’arrivée du système bancaire ouvert introduit de nouveaux risques. On ne dit pas nécessairement que c’est à éviter ou que nous devrions simplement atténuer ces risques ou travailler en conformité avec ces paramètres. Quel est l’engagement actuel du BSIF à ce sujet, son rôle et ses attentes?
Peter Routledge, surintendant :
Le ministère des Finances met au point la politique sur le système bancaire ouvert et un rôle a été prévu pour l’Agence de la consommation en matière financière du Canada dans le plus récent document budgétaire. Nous y sommes favorables, mais nous sommes des observateurs et, à l’heure actuelle, nous n’observons pas de changement radical du risque systémique dans la foulée du système bancaire ouvert. Si c’était le cas, nous ferions entendre nos préoccupations.
À mesure que le système bancaire ouvert et la numérisation des systèmes financiers progressent, la conception des produits, en particulier dans le domaine du financement, deviendra un élément très, très important pour les institutions financières.
Dans le cas des dépôts à vue stables et des dépôts à vue « adhérents », je pense que les institutions devraient mesurer en permanence le degré d’adhérence de leurs dépôts à vue dans un monde électronique et développer leur produit au cas où elles estimeraient que le niveau d’« adhérence » s’affaiblit.
Au Canada, je ne vois aucune preuve d’un affaiblissement de l’« adhérence » des dépôts à vue, mais je sais que les institutions qui étudient le système bancaire ouvert gardent un œil attentif sur ce risque, au cas où il s’accentuerait.
Sonia Baxendale, animatrice :
Nous n’avons pas parlé du climat, et je ne pense pas que nous puissions passer ce sujet sous silence. Pendant un certain temps, on a eu l’impression qu’il s’agissait d’une question importante d’un point de vue réglementaire. Où en est la question du climat parmi les priorités du BSIF à l’heure actuelle?
Peter Routledge, surintendant :
Nous avons certainement fait beaucoup plus de bruit sur le climat il y a trois ans que ces temps-ci, parce que nous étions en train de mettre en place les capacités pour préparer les institutions que nous surveillons à gérer ce risque. Nous avons élaboré une ligne directrice, nous avons développé une capacité de test de scénarios, nous avons développé des relevés réglementaires au sujet de l’exposition au risque climatique, ce qui a constitué une première étape.
Du point de vue de la visibilité et des relations publiques, les trois prochaines années seront beaucoup plus calmes parce que nous devons maintenant faire le travail difficile de la mise en œuvre de la ligne directrice B-15. Nous devons maintenant nous atteler à la tâche de mesurer l’exposition au risque climatique que posent les émissions des champs d’application 1, 2 ou 3. Nous devons aussi nous attaquer à la réalisation à intervalles réguliers des simulations selon différents scénarios climatiques.
Ce faisant, nous gagnons en maturité dans la mesure et la compréhension du risque climatique en tant que risque financier. Nous devons faire progresser et développer nos capacités, tout comme les conseils d’administration des institutions que nous surveillons, et cela prendra trois ou quatre ans.
Je le compare au risque de marché dans les années 1980 et au risque de liquidité ressorti de la grande crise financière. Il y a un processus pluriannuel pour nous aider à devenir plus judicieux et à adopter une approche plus concrète à l’égard du risque climatique et c’est ce sur quoi nous nous concentrons.
Cela permettra de commencer à répondre aux questions qui se posent à plus long terme, à savoir si nous disposons de suffisamment de fonds propres pour faire face à l’aggravation ou à l’intensification des risques climatiques. Si ce n’est pas le cas, quelle serait la meilleure façon de faire avancer les choses? Si c’est le cas, c’est un souci de moins. À quoi les conseils d’administration doivent-ils songer pour mesurer le risque climatique et à quel moment doivent-ils le divulguer au marché?
Toutes ces mesures nécessitent quelques années de travail pratique, le nez penché sur la tâche, pour mesurer le risque plus efficacement et c’est un exercice important. Cette année, selon le Bureau d’assurance du Canada, les pertes attribuables aux catastrophes naturelles se sont élevées à 7,5 milliards de dollars. Le précédent record était de 4 milliards de dollars, l’année des incendies de Fort McMurray.
Quelqu’un est-il prêt à parier que ce record de 7,5 milliards de dollars sera franchi ou non dans 5 ans? Je parierais que oui. Le risque climatique est avant tout un risque financier dont nous ne savons pas encore très bien comment mesurer l’ampleur. C’est le travail des trois prochaines années.
Sonia Baxendale, animatrice :
Nous sommes sur le point de terminer notre entretien, je vais donc conclure avec une dernière question de la part de nos participants. Parmi les principaux risques auxquels les banques doivent faire face, quel est celui qui préoccupe le plus le BSIF?
Peter Routledge, surintendant :
Nous avons établi notre liste des quatre plus importants, et le premier risque reste celui lié aux prêts hypothécaires résidentiels et plus généralement du marché résidentiel. C’est là que l’on trouve la plus grande part de risque dans le portefeuille de prêts d’une banque. Il y a un lien fondamental avec la confiance des consommateurs et les dépenses de consommation, qui représentent les deux tiers de notre économie. Le BSIF le répète depuis 20 ans, mais il s’agit du principal risque pour notre système.
Sonia Baxendale, animatrice :
Il est bon qu’un organisme de réglementation fasse preuve de cohérence. Peter, merci beaucoup d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Je vous remercie de votre ouverture et de votre franchise.
Peter Routledge, surintendant :
Merci.