BSIF, Bâle III et planchers de fonds propres

Discours -

Le texte prononcé fait foi

Merci Vanda pour cette aimable présentation. Avant de commencer, je tiens à souligner que nous sommes réunis aujourd'hui sur le territoire traditionnel de la Première Nation Mississauga de Credit, ainsi que des peuples Anichinabé, Chippewa, Haudenosaunee et Wendat, et que ce territoire est aussi le foyer de nombreux peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Plus tôt cette semaine, nous avons commémoré la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, et nous gardons à l'esprit les 94 appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Eh bien… l'année 2024 s'est avérée intéressante pour l'institution que je sers. Nous continuons à attirer beaucoup d'attention dans les domaines de la souscription de prêts hypothécaires, du volet intégrité et sécurité de notre mandat, de la gestion des risques climatiques et des perspectives de résilience du système financier à une époque où l'incertitude s'accentue. Je sais que Sonia et moi allons aborder certains de ces sujets dans quelques minutes. Toutefois, je dois dire que l'intensité de l'attention est nouvelle pour le BSIF et qu'elle nous donne l'occasion de communiquer plus clairement à l'ensemble des Canadiens et des Canadiennes la façon dont nous les servons.

La mise en œuvre par le BSIF des réformes de Bâle III de 2017 pour la réglementation prudentielle des banques (réformes de Bâle III de 2017) a fait l'objet d'une attention extraordinaire. Mais nous n'avons pas été les seuls à attirer toute cette attention. Dans un pays voisin, plus tôt cette année, les réformes de Bâle III de 2017 ont suscité beaucoup d'attention publique, notamment au moyen de publicités télévisées et de panneaux d'affichage dans les aéroports. Ainsi, en tant qu'organisme de réglementation bancaire, nous avons un nouveau public avec lequel communiquer. Celui-ci est composé de milliers de personnes bien intentionnées et curieuses de connaître comment un organisme de réglementation peut influer sur leurs activités et leurs occasions économiques.

C'est pourquoi j'ai pensé qu'il serait utile de présenter notre approche à l'égard des réformes de Bâle III de 2017.

En 2017, nous nous sommes engagés à apporter une série de réformes réglementaires d'après-crise au dispositif de Bâle III, aux côtés de surveillants des 20 pays participants. Nous avons pris cet engagement afin de rendre le système bancaire canadien plus sûr et de marquer notre volonté de contribuer à la stabilité financière internationale.

Nous avons donc entrepris de respecter notre engagement avec diligence. Comme le Canada dispose d'un cadre réglementaire fondé sur des principes, nous avons presque terminé de mener à bien cet engagement, tandis que certains de nos homologues signataires des réformes de Bâle III de 2017 ont encore du chemin à faire. Les observateurs peuvent suivre l'évolution de la mise en œuvre au Canada sur le site Web du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB, en anglais seulement). Je tiens à souligner qu'un certain nombre de nos homologues ont réaffirmé leur intention de respecter pleinement leurs engagements à l'égard des réformes de Bâle III de 2017, mais selon des échéanciers qui s'étalent jusqu'à la fin de la décennie et au début de la suivante.

Étant donné que le Canada a pris de l'avance, le BSIF a ralenti la mise en œuvre du dernier élément des réformes de Bâle III de 2017, soit le fameux plancher de fonds propres. Comme il l'a annoncé en juillet 2024, le BSIF a reporté d'un an la hausse du plancher de fonds propres. Par conséquent, le plancher des actifs pondérés en fonction du risque (APR) calculés par les banques qui ont reçu l'agrément pour l'utilisation de l'approche fondée sur les notations internes (approche NI) aux fins de la pondération des risques (contrairement à l'approche standard), subira une hausse plus lente que ce qui était initialement prévu. Actuellement, le plancher de fonds propres prévoit que les APR d'une banque calculés à l'aide de modèles internes doivent représenter au moins 67,5 % des actifs pondérés en fonction du risque calculés selon l'approche standard. Ce plancher passera à 72,5 % en 2027 selon le calendrier actuel (en incluant le report d'un an mentionné plus haut). Il convient de noter que seules les 6 banques d'importance systémique intérieure (BISi) du Canada sont autorisées à utiliser l'approche NI pour calculer les APR.

Pour en arriver à ce report d'un an, nous avons tenu compte de beaucoup de commentaires et d'arguments concernant l'incidence de cette modification technique à un ratio complexe de fonds propres réglementaires. Nous avons été surpris par les enjeux soulevés dans l'argumentation de certains observateurs. Certains ont fait valoir que la décision du BSIF sur cette méthode de calcul technique aurait un effet corrélatif et négatif sur la croissance économique, en soutenant que l'augmentation spectaculaire des exigences de fonds propres ralentirait les activités d'octroi de prêts, et donc, la croissance économique. Nous sommes ouverts à ces critiques et pensons qu'il est important de remettre constamment en question notre raisonnement afin de veiller à ce que nos efforts bien intentionnés pour renforcer la résilience du secteur bancaire canadien n'entraînent pas de conséquences inattendues. Dans cet esprit, je vous soumets quelques observations sur la question.

Les réformes de Bâle III de 2017 n'ont pas d'effet important sur les fonds propres des BISi

Selon nos estimations, la mise en œuvre des réformes de Bâle III de 2017 au Canada devrait être neutre sur le plan des fonds propres, même une fois le niveau final de 72,5 % atteint. Bien que l'ensemble des réformes de Bâle III comportent de nombreuses composantes, les deux ayant la plus grande incidence sur les niveaux de fonds propres des banques ont été : i) la suppression du facteur scalaire de 1,06 qui était auparavant appliqué aux APR modélisés; et ii) l'inclusion du plancher de fonds propres dont il est question plus haut. Selon les informations communiquées publiquement, le total des APR modélisés des BISi s'élevait à environ 1 500 milliards de dollars au deuxième trimestre de 2024, ce qui laisse entendre que la suppression du facteur scalaire de 1,06 a permis un allègement immédiat des APR d'environ 90 milliards de dollars (6 % de 1 500 milliards), qui varient de 4,8 milliards de dollars à 23,4 milliards de dollars pour les BISi.

Selon l'information publiée par les BISi au deuxième trimestre de 2024 et les données réglementaires accessibles sur notre site Web, nous estimons que l'augmentation des APR attribuable au plancher de fonds propres entièrement mis en œuvre sera d'environ 85 milliards de dollars. Cela a une incidence sur les ratios des fonds propres de catégorie 1 sous forme d'actions ordinaires (CET1) des banques, qui varient de 0 point de base (pb) à 86 pb pour les BISi. Une note technique publiée aujourd'hui sur notre site Web donne un aperçu détaillé de notre calcul du plancher de fonds propres.

En d'autres termes, l'incidence du plancher de fonds propres sur une base brute (c'est-à-dire l'effet sans tenir compte de l'allègement antérieur des exigences de fonds propres), qui s'élève à 85 milliards de dollars, est plusieurs fois inférieure à certaines estimations et est négligeable sur une base nette.

Les avantages de solides excédents de fonds propres des banques ont dépassé les coûts

Les critiques formulées à l'encontre des organismes de réglementation bancaires qui cherchent à accroître l'excédent de fonds propres des banques se fondent sur l'argument selon lequel des exigences de fonds propres élevées et croissantes augmentent le coût des prêts, ce qui ralentit la croissance économique. Je pense qu'il est important que le BSIF garde toujours cet argument à l'esprit lorsqu'il prend des décisions techniques sur le calcul des fonds propres des banques, de peur de nuire involontairement à la croissance économique en se concentrant à l'excès sur la résilience financière.

Une collègue de la Banque d'Angleterre, Sarah Breeden (sous-gouverneure chargée de la stabilité financière), a prononcé un discours (en anglais seulement) cet automne dans lequel :

  • elle a rappelé à ses collègues que l'objectif de la réglementation bancaire est de veiller à ce que le système bancaire fournisse des services essentiels, même en cas de chocs; et
  • elle a mis en garde les organismes de réglementation bancaires qui doivent éviter la « stabilité du cimetière » en veillant à donner suite aux occasions de favoriser le potentiel de croissance sans compromettre la stabilité financière.

Nous pensons qu'il s'agit d'une excellente façon d'expliquer ce que doit être la bonne propension à prendre des risques des organismes de réglementation bancaires. Il existe un niveau optimal de fonds propres bancaires, lequel réduit la probabilité qu'un choc financier ébranle l'économie, mais permet d'éviter la « stabilité du cimetière » dans laquelle la croissance économique est inutilement ralentie par une aversion excessive pour le risque qui pèse sur le système financier.

Des responsables de banques centrales et des chercheurs universitaires ont trouvé un terrain fertile pour étudier ce compromis depuis la crise financière mondiale de 2007-2009. Des chercheurs de plusieurs banques de réserve fédérale, de la Banque d'Angleterre, de la Banque des règlements internationaux et de nombreuses universités ont participé à ce projet. Bien qu'il y ait encore des débats légitimes dans le cadre de cette étude, il y a consensus sur les points suivants.

  • Les avantages de la hausse des exigences de fonds propres après 2009, visant à réduire la probabilité de chocs sur le système financier, ont dépassé les coûts du ralentissement des activités d'octroi de prêts à mesure que ces exigences augmentaient.
  • Il existe un niveau optimal de fonds propres de catégorie 1 par rapport aux APR, qui se situe entre 10 et 15 %, si les systèmes bancaires disposent de systèmes avancés de résolution bancaire et de fonds propres d'urgence pouvant être convertis en actions ordinaires en cas de crise.
  • L'augmentation des exigences de fonds propres des banques devrait être progressive afin d'éviter des conséquences imprévues plus graves sur la croissance économique.
  • Lorsque ces exigences augmentent, les banques dont les excédents de fonds propres sont moindres par rapport aux exigences minimales de fonds propres réglementaires ont tendance à perdre des parts de marché, tandis que celles dont les excédents sont plus grands ont tendance à en gagner.
  • Ce transfert de parts de marché tend à atténuer la baisse de la disponibilité du crédit à l'échelle du système pendant les périodes d'augmentation progressive des exigences de fonds propres des banques.

Le plancher de fonds propres renforce la discipline en matière de risque de modélisation et l'équilibre concurrentiel dans le secteur bancaire canadien

L'approche NI pour la pondération des risques intègre les pertes historiques d'une banque. Cependant, les résultats passés ne garantissent pas les résultats futurs et, comme le montre la crise financière mondiale, une tendance très favorable sur des décennies en termes de pertes peut s'inverser soudainement. De plus, les périodes de faibles pertes sur prêts se traduisent par des ratios de fonds propres calculés plus élevés en période de prospérité et plus faibles en période de crise, car les pertes augmentent et sont intégrées aux modèles internes. Un plancher de fonds propres incitera les banques à examiner, à remettre en question et à améliorer plus régulièrement les hypothèses de leurs modèles internes, sous peine de voir le plancher normalisé devenir contraignant. De cette manière, le plancher de fonds propres permet d'instaurer une plus grande discipline en matière de risque de modélisation dans le système bancaire.

Le plancher de fonds propres a également l'avantage de réduire l'écart entre les exigences de fonds propres applicables aux banques qui utilisent l'approche NI et celles qui utilisent l'approche standard pour la pondération des risques, ce qui favorise l'équilibre concurrentiel, toutes choses égales par ailleurs, et profitera en fin de compte aux entreprises et aux ménages canadiens désireux de financer leur avenir.

Conclusion

Je suis certain que certains observateurs pourraient se demander ce que cet argument signifie pour le calendrier du BSIF en ce qui concerne le plancher de fonds propres. La réponse honnête, c'est que puisque nous n'avons pas à prendre cette décision maintenant, nous ne le ferons pas. Je m'attends à ce qu'au début de l'été prochain, nous annoncions la voie que nous suivrons, avec ou sans modification du calendrier. Toutefois, je dirai que, malgré l'engagement manifeste du Canada en faveur des réformes de Bâle III de 2017, nous ne pouvons pas prolonger le délai de la mise en œuvre que nous avons en commun avec un petit nombre d'autres signataires.

Les réformes de Bâle III de 2017 renforceront la capacité des banques à résister aux chocs financiers et à soutenir la croissance économique, tout en leur permettant de se mesurer à la concurrence et de prendre des risques raisonnables. Pour que ces réformes portent leurs fruits et que l'équilibre concurrentiel soit préservé au sein du système bancaire à l'échelle mondiale, tous les pays membres du CBCB doivent les adopter et les mettre en œuvre intégralement, rapidement et uniformément.

Le BSIF continuera de suivre les progrès accomplis par d'autres pays relativement à la mise en œuvre des réformes de Bâle III de 2017, en soupesant l'équilibre concurrentiel au sein du système bancaire et la solidité du régime de fonds propres du Canada.